Que se passe-t-il lorsque les inventions ou les brevets déposés sur ces inventions sont transférés avant que les droits et obligations y afférents ne soient prescrits ?
Les inventions réalisées par un salarié sont régies par l’article L. 611-7 du Code de la propriété intellectuelle (CPI), qui les organise en trois catégories : les inventions dites de mission, les inventions dites hors mission attribuables et les inventions dites hors mission non attribuables.
En ce qui concerne les inventions de mission, c’est-à-dire celles faites par le salarié « dans l’exécution soit d’un contrat de travail comportant une mission inventive qui correspond à ses fonctions effectives, soit d’études et de recherches qui lui sont explicitement confiées », ce même article dispose que celles-ci « appartiennent à l’employeur ».
Mais, l’employeur investi de ce droit sur l’invention de mission a également une obligation, celle de verser à l’inventeur salarié une rémunération supplémentaire.
De même, une invention hors mission attribuable, c’est-à-dire « une invention faite par un salarié soit dans le cours de l’exécution de ses fonctions, soit dans le domaine des activités de l’entreprise, soit par la connaissance ou l’utilisation des techniques ou de moyens spécifiques ou de données procurées par elle », ouvre le droit pour l’employeur de se faire attribuer la propriété ou la jouissance de tout ou partie des droits attachés au brevet protégeant ladite invention.
Le CPI précise que le salarié doit, dans un tel cas, en obtenir un « juste prix ».
Il arrive que les inventions ou les brevets déposés sur ces inventions fassent l’objet d’un transfert avant que les droits et obligations y afférents ne soient prescrits. Ainsi, la qualification de l’invention peut-elle encore être remise en cause, la rémunération supplémentaire ne pas encore avoir été versée, l’option de l’employeur ne pas avoir été exercée, le juste prix ne pas encore être convenu ou versé.
Dans de tels cas, vers qui les intéressés doivent-ils se tourner ?
Il faut distinguer plusieurs situations et la jurisprudence nous aide à dresser une typologie permettant d’identifier les cas où les droits et obligations liés au régime des inventions de salariés sont transférés en même temps que les actifs incorporels.
Il convient tout d’abord de rappeler que c’est l’existence du contrat de travail qui entraîne l’application du régime légal des inventions de salariés.
Concernant l’invention de mission, les droits et obligations naissent à la date de réalisation de l’invention.
Quant à l’invention hors mission attribuable, l’option de l’employeur naît à compter de la déclaration de l’invention par le salarié et l’obligation de définir un juste prix naît de la notification par l’employeur de sa décision de s’en faire attribuer la propriété ou la jouissance, cette notification devant intervenir dans les quatre mois de la déclaration.
C’est donc dans la relation employeur-salarié que les droits et obligations s’exercent.
Nous pouvons ainsi lister les différentes situations.
Tout d’abord dans le cas d’un transfert isolé des droits portant sur une invention ou d’un brevet, le cessionnaire ne sera pas investi de l’obligation de rémunérer l’inventeur, cette obligation restant à la charge de l’employeur.
Ensuite, dans le cas du transfert d’un ensemble d’éléments corporels, l’affaire Laurent M c. TELECOM DESIGN SA et INFO NETWORK SYSTEM SA nous donne un éclairage. En effet, la chambre commerciale de la Cour de cassation rappelle, dans son arrêt du 31 janvier 2018, que l’acquisition auprès d’une société d’éléments incorporels permettant au cessionnaire de déposer un brevet n’entraîne pas transfert des droits et obligations de l’employeur au titre de l’article L 611-7 du CPI.
Dans cette affaire, l’inventeur était salarié de la société Icare depuis août 2005, avant d’être licencié en novembre 2006 puis embauché par la société Telecom Design en février 2008. Parallèlement, en avril 2008, la société Info Network System, holding de la société Telecom Design, a acquis certains éléments incorporels de Telecom Design, alors en liquidation judiciaire. Parmi ces éléments incorporels figuraient les résultats des travaux de Monsieur M. sur la base desquels Info Network System a pu déposer en son nom une demande de brevet en France, puis une demande de brevet européen sous priorité de la première.
Fin 2012, Info Network System a cédé ses droits sur ces brevets, qui désignent monsieur M. comme inventeur, à sa filiale Telecom Design.
Monsieur M. a tenté d’une part de revendiquer la propriété de l’invention, arguant que l’invention avait été réalisée après qu’il eut quitté la société Icare et avant d’être embauché par Telecom Design.
A titre subsidiaire, il a demandé, pour le cas où l’invention serait qualifiée d’invention de mission, à bénéficier de la rémunération supplémentaire due à ce titre.
La Cour d’appel avait décidé que l’invention était une invention de mission et avait condamné la société INS à payer à Monsieur M. une rémunération supplémentaire.
Dans sa décision, la Cour de cassation précise d’une part que « l’acquisition des éléments incorporels de l’actif d’une société […] ne confère pas au cessionnaire la qualité d’ayant-droit de l’employeur, en sorte que ce cessionnaire, qui a déposé un brevet à partir de ces éléments, n’est pas fondé à opposer au salarié que l’invention dont celui-ci est l’auteur […] est une invention de mission lui appartenant. »
Pour autant, elle ne conteste pas à Telecom Design la propriété de l’invention, celle-ci ayant été déposée par INS grâce aux éléments développés par Monsieur M. au cours de son contrat de travail auprès de la société Icare et dont elle a acquis la propriété. Mais elle tient ses droits en qualité d’ayant-cause d’un précédent titulaire des droits et non en qualité d’ayant-cause d’un précédent employeur.
D’autre part, et suivant la même logique, elle ajoute que « à supposer l’invention de mission caractérisée, le droit à rémunération supplémentaire du salarié ne peut être invoqué qu’à l’encontre de l’employeur et prend naissance à la date de réalisation de l’invention brevetable. »
En l’espèce, il ne fait aucun doute que la société Telecom Design a embauché Monsieur M. pour ses compétences dans un domaine technologique qu’elle souhaitait promouvoir et ses capacités à poursuivre le développement de cette technologie, dont elle acquiert certains droits auprès de la société Icare. Il n’en reste pas moins que le transfert de ces actifs incorporels et la présence successive en tant que salarié de Monsieur M. au sein de la société Icare puis de la société Telecom Design sont le résultat de situations indépendantes et parallèles.
Enfin, il en va autrement dans un troisième cas, lorsque le transfert du brevet intervient dans le cadre plus global d’un transfert d’une branche d’activité (fusion-absorption, apport partiel d’actif) entraînant une transmission universelle de patrimoine. Dans ce cas, les créances et les dettes de la société d’origine sont transmises à la société absorbante ou au bénéficiaire de l’apport, en ce compris celles existant à l’égard des salariés.
Ainsi, dans l’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 9 décembre 2014 (X. c/ Stés Baxter, Baxter international et Baxter Healthcare), les juges relèvent que le salarié est en droit d’invoquer, contre la société à laquelle le secteur a été transféré, les droits qu’il tient des dispositions légales, notamment de l’article L. 611-7 du CPI.
C’est donc bien au droit du travail qu’il faut revenir et à la question de savoir si le contrat de travail a été transmis dans le cadre d’un transfert de fonds de commerce.
L’article L1224-1 du Code du travail dispose en effet que « lorsque survient une modification dans la situation juridique de l’employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l’entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise. »
Selon une jurisprudence constante, l’article L. 1224-1 du Code du travail s’applique à tout « transfert d’une entité économique conservant son identité et dont l’activité est poursuivie ou reprise » (dans ce sens, Cour de cassation, Assemblée plénière du 16 mars 1990).
Il faut donc appliquer le critère de la relation de travail pour déterminer qui reste ou devient créancier des droits ou débiteur des obligations découlant de l’article L. 611-7 du CPI.
Un tiers à la relation employeur/salarié, ne peut invoquer les droits ou obligations liés aux inventions de salariés, fût-il cessionnaire de droits de propriété intellectuelle.
Par Annie Hellstern