S’il est acquis comme principe que la marque bénéficiant d’une renommée auprès des consommateurs possède un champ de protection par le droit des marques plus étendu que les autres marques, la délimitation de ce champ de protection soulève régulièrement des questions et fait périodiquement l’objet de décisions visant à en préciser les contours.
Les deux décisions étudiées ici, sont ainsi rendues au visa de l’article 8 §5 du règlement n° 207/2009 pour l’une et n° 2017/1001 pour l’autre, qui prévoient dans des termes identiques si ce n’est les adaptations dues au changement de qualification de marque communautaire en marque de l’Union européenne, que :
« Sur opposition du titulaire d’une marque antérieure enregistrée au sens du paragraphe 2, la marque demandée est refusée à l’enregistrement si elle est identique ou similaire à une marque antérieure, indépendamment du fait que les produits ou services pour lesquels elle est demandée sont identiques, similaires ou non similaires à ceux pour lesquels la marque antérieure est enregistrée, lorsque cette marque antérieure est une marque de l’Union européenne qui jouit d’une renommée dans l’Union ou une marque nationale qui jouit d’une renommée dans l’État membre concerné, et que l’usage sans juste motif de la marque demandée tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de cette marque antérieure ou leur porterait préjudice. »
Affaire The Rich Prada
L’arrêt du Tribunal de l’Union Européenne du 5 juin 2018 dans l’affaire The Rich Prada (aff T-111/16, Prada c/ EUIPO) précise les conditions dans lesquelles une marque pourra se prévaloir d’une protection élargie. Dans cette affaire, le Tribunal, assez frileux, n’accepte l’application de la renommée qu’en lien avec des produits et services connexes à ceux exploités par la société Prada alors même qu’il aurait pu être envisageable de reconnaitre l’existence d’un lien significatif entre les activités de l’hôtellerie et de la mode dans le secteur du luxe notamment.
L’affaire étudiée implique la société indonésienne The Rich Prada International PT qui a présenté le 30 août 2011 une demande d’enregistrement d’une marque de l’Union européenne portant sur le signe verbal THE RICH PRADA pour des produits et services relevant des classes 30, 32, 35, 36, 37, 41, 43 et 45.
La société Prada SA a formé opposition à l’encontre de l’enregistrement de la marque demandée pour tous les produits et services couverts par cette demande.
L’opposition était fondée sur plusieurs marques antérieures verbales et semi-figuratives PRADA, valables en Union-Européenne ou dans des Etats membres de cette dernière, et désignant des produits et services relevant des classes 18 et 25.
La division d’opposition ayant partiellement fait droit à l’opposition et rejeté l’enregistrement de la marque demandée pour une partie des produits et services visés, les deux parties ont chacune formé un recours à l’encontre de cette décision : la société PRADA SA en vue d’obtenir le rejet total de la demande de marque opposée et la société indonésienne The Rich Prada International PT afin d’obtenir l’enregistrement de sa demande de marque pour la totalité des produits et services visés.
A son tour, la chambre de recours de l’EUIPO a totalement rejeté le recours de la société PRADA SA et partiellement accueilli le recours de la société indonésienne The Rich Prada International PT.
La marque demandée pouvait donc être enregistrée en lien avec les produits et services relevant de classes variées visant des produits d’alimentation, des services des gestion commerciale, hôtelière, d’assurance, de construction, médicaux, de garde d’enfants, etc.
En particulier, en ce qui concerne l’opposition, la chambre de recours a estimé du point de vue de la comparaison des signes que les marques étaient similaires, confirmant ainsi la décision de la division d’opposition. Elle a également considéré que le terme PRADA était purement distinctif et dénué de signification et que ce terme était entièrement reproduit dans la demande de marque contestée.
S’agissant de la renommée, la chambre de recours a reconnu que les marques antérieures jouissaient d’une renommée particulièrement remarquable pour les produits compris dans les classes 18 et 25 sur le territoire pertinent.
Elle a ensuite examiné le risque de préjudice porté à la renommée des marques antérieures ainsi que le risque de profit indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée des marques antérieures.
- S’agissant du risque de préjudice porté à la renommée des marques antérieures, la chambre de recours a considéré que la grande dissemblance entre les produits visés par les marques antérieures d’une part et par la demande contestée d’autre part ne permettait pas de concevoir qu’un consommateur puisse établir un quelconque lien significatif entre les marques en conflit et en tout état de cause, à supposer même qu’un lien soit établi entre les signes en conflit, un tel lien ne suffisait pas selon elle à établir l’existence d’un préjudice.
- S’agissant du risque de profit indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée des marques antérieures, la chambre de recours a reconnu que l’image portée par le signe PRADA liée au glamour, à la qualité, au prestige, pouvait être transférée à la demande contestée. Toutefois, elle a constaté que ce transfert d’image ne pouvait être opéré que pour les produits et services qui étaient fortement liés au secteur de la mode. Aussi dans un second temps, la chambre de recours a analysé les produits et services pouvant et ceux ne pouvant pas être liés au secteur de la mode et a exclu qu’un transfert d’image puisse être établi pour les produits et services les plus éloignés des produits visés par les marques antérieures en classes 18 et 25 en considérant qu’ils étaient tellement éloignés et de nature tellement différente des produits visés par les marques antérieures que les signes en conflit devraient être quasi-identiques ou identiques pour que le public associe les marques.
En revanche, la chambre de recours a considéré qu’un risque de profit indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée des marques antérieures n’était pas exclu pour une partie des produits et services visés par la demande de marque et présentant un lien avec la mode.
Raisonnement du Tribunal sur le moyen tiré de la violation de l’art 8, §5 du règlement n° 207/2009
1/ Le Tribunal rappelle que l’existence du lien entre les marques en conflit doit être apprécié globalement, en tenant compte de l’intensité de la renommée et du degré de caractère distinctif de la marque antérieure, mais aussi du degré de similitude entre les marques en conflit, de la nature des produits et services visés par les marques en conflit et du degré de dissemblance ou de proximité entre ces produits ou services.
Or, la chambre de recours a pris en considération une renommée « particulièrement remarquable » des marques antérieure. Elle s’est donc fondée sur le niveau d’intensité le plus élevé de la renommée.
S’agissant du caractère distinctif, la chambre de recours a relevé que le terme PRADA est purement distinctif et qu’il est entièrement repris par la marque postérieure. Selon la chambre de recours, la marque demandée sera perçue par le public pertinent comme une dérivation des marques antérieures PRADA.
La chambre de recours a considéré que les produits et services en cause étaient tellement dissemblables que les marques auraient dû être quasi-identique voire identiques.
Or la société Prada n’a pas contesté la décision de la chambre de recours sur ce point précis.
Dès lors malgré la proximité entre les signes en cause, la requérante n’a pas démontré qu’un lien pourrait être établi entre les marques par le consommateur même en présence de produits et services dissimilaires et n’est pas parvenue à remettre en cause l’appréciation globale du lien significatif effectuée par la chambre de recours.
2/ S’agissant du risque de profit indu tiré de la renommée ou du caractère distinctif des marques antérieures, la requérante ne formule aucun argument visant à remettre en cause les arguments de la chambre de recours.
3/ S’agissant du risque de préjudice au caractère distinctif des marques antérieures, la preuve que l’usage de la marque postérieure porte ou porterait préjudice à la marque antérieure suppose la démonstration d’une modification du comportement économique du consommateur moyen des produits ou des services protégés par les marques antérieures consécutive à l’usage de la marque postérieure.
Or les arguments de la requérante portent uniquement sur l’existence d’un lien.
Ainsi, le tribunal rejette l’appel de la société PRADA SA et la décision de la chambre de recours est confirmée car PRADA SA n’est pas parvenue à remettre en cause l’appréciation de la chambre de recours sur la question du lien significatif et n’a pas su démontrer l’existence d’un profit indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée de ses marques antérieures.
Affaire OREO v. Twins
Dans cette affaire plus classique, le 26 mars 2015, la société GALLEAS Gullon SA a procédé au dépôt de la marque figurative suivante, qui a fait l’objet d’une publication le 11 mai 2015 en lien avec des « Biscuits » en classe 30. :
Cette demande revendique les couleurs suivantes : « vert ; blanc jaune ; bleu ; brun foncé ».
Le 7 août 2015, la société Intercontinental Great Brands LLC forme opposition à l’encontre de cette demande de marque.
Cette opposition se basait notamment sur le droit antérieur suivants pour lesquels la renommée a été revendiquée pour l’ensemble des produits :
La division d’opposition ayant fait droit à l’opposition, le déposant fait appel de cette décision.
1/ Sur la question de la renommée de la marque antérieure :
il n’est pas contesté par la division d’appel que cette marque bénéficie d’une renommée exceptionnelle en Espagne et donc en Union Européenne.
2/ Sur la question de la comparaison entre les signes :
il est considéré que les marques coïncident dans la reproduction d’un biscuit en forme de sandwich rond avec une décoration similaire et diffèrent dans leurs autres éléments. Dès lors, considérés dans leur ensemble les signes en cause présentent certaines similarités visuelles en raison de la présence commune de la représentation d’un biscuit sandwich.
Les marques en question ne partagent en revanche aucune similitude phonétique. Toutefois, il doit être tenu compte s’agissant de produits relevant de la classe 30, qu’ils sont généralement commercialisés en libre services dans des supermarchés de telle sorte que la comparaison visuelle prime ici sur les comparaisons phonétiques et conceptuelles.
3/ S’agissant du profit indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure, il est considéré ici qu’au regard de la renommée de la marque antérieure, de l’identité entre les produits en cause et des circonstances d’achats de ces produits de consommation courante, le produit portant la demande de marque contestée attirera plus spécialement le consommateur s’il lui rappelle la marque antérieure renommée.
Bien que le consommateur ne confonde pas les deux marques, la similarité entre les signes du fait la présence d’un élément commun, lui permettra de percevoir le produit couvert par la demande de marque comme un possible produit de remplacement du produit couvert par la marque antérieure.
Dès lors, le déposant tire avantage de la renommée et des investissements de la marque antérieure pour la vente de ses propres produits.
Par conséquent, sans pour autant aboutir à la monopolisation de la représentation d’un type de biscuit, la division d’appel considère que les similitudes entre les signes résultants de l’élément commun constitué de la représentation d’un biscuit conduiront nécessairement le consommateur à établir un lien entre les marques en cause.
En conclusion, la marque
est refusée à l’enregistrement dans son ensemble
Ainsi, dans ce cas et à l’inverse de la décision précédemment étudiée, la division d’appel fait droit au titulaire des droits antérieurs en raison de l’existence d’un lien entre les marques comparées et de la démonstration de l’existence d’un profit indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure en raison de ce lien.