La Cour d’appel de la Juridiction Unifiée des Brevets (JUB) a émis le 10 avril dernier une décision relative à l’accès au public des documents de procédure, notamment les mémoires et preuves des parties, déposés devant la JUB.
1 – Les dispositions légales applicables
Les dispositions relatives à l’accessibilité au public des documents déposés par les parties lors des procédures devant la JUB sont énoncées aux articles 10 et 45 de l’Accord relatif à la Juridiction Unifiée du Brevet (AJUB) et à la règle 262 du Règlement de Procédure (RdP) de la JUB.
L’article 10 de l’AJUB pose le cadre général en disposant que « sous réserve des conditions énoncées dans le présent accord et dans le règlement de procédure, le registre tenu par le greffe est public ».
L’article 45 de l’AJUB ajoute que « les débats de la Juridiction sont publics sauf si elle décide, dans la mesure où cela est nécessaire, de les rendre confidentiels dans l’intérêt d’une des parties ou d’autres personnes concernées, ou dans l’intérêt général de la justice ou de l’ordre public ».
La règle 262.1 du RdP de la JUB fait la distinction entre les décisions et ordonnances rendues par la JUB, qui sont publiées (R.262.1(a) RdP) et les mémoires et preuves déposés auprès de la JUB par les parties, qui sont accessibles au public sur demande motivée au greffe (R262.1(b) RdP).
En outre, une partie peut demander que certaines informations des mémoires et preuves déposés soit gardées confidentielles (R.262.2 RdP) mais un membre du public peut demander à accéder à ces informations en exposant les motifs pour lesquels il considère que les raisons de la confidentialité ne devraient pas être acceptées et le but dans lequel il demande ces informations (R262.3 RdP). Selon la règle 262.6, « la JUB accueille la demande sauf si les motifs légitimes relatifs à la confidentialité́ des informations données par la partie concernée dépassent les intérêts du requérant à avoir accès à ces informations ».
2 – Clarifications de la Cour d’Appel de la JUB sur l’accessibilité aux documents de procédure
Dans sa décision du 10 avril 2024, la Cour d’Appel de la JUB a dû se prononcer sur l’accessibilité aux documents de procédure pour un tiers.
Concernant le cas particulier faisant l’objet de cette décision, en première instance, le litige opposait la société Ocado à la société Autostore. Peu après le début du litige, ces deux sociétés ont passé un accord pour y mettre fin. Dans l’intervalle, un tiers membre du public a demandé à avoir accès aux documents du dossier, notamment aux arguments et preuves avancés par les parties, et le Tribunal a accédé à cette requête en application de la règle 262.1(b) RdP.
Ocado a interjeté appel contre cette décision en arguant notamment que, dès lors que le dossier a pris fin sans qu’une décision ait pu être rendue par la JUB, les tiers du public n’ont plus de justification pour accéder au dossier. La Cour d’Appel ne partage pas cet avis.
La Cour d’Appel rappelle que, comme cela est clairement établi par les articles 10 et 45 AJUB, le principe général est que le registre est accessible au public à moins que la balance des intérêts impliqués soit telle qu’il est préférable de maintenir la confidentialité.
La Cour distingue 3 situations selon le statut du dossier :
1. Accès au dossier selon la règle 262.1(b) RdP lorsque le dossier est encore en instance
2. Accès au dossier selon la règle 262.1(b) du RdP lorsque le dossier n’est plus en instance
3. Accès au dossier selon la règle 262.2 RdP
Si la procédure est encore en instance, la JUB évalue l’équilibre des intérêts
Dans le cas 1, l’intérêt du tiers à accéder aux pièces du dossier doit être mis en balance avec l’intérêt des parties à la procédure (protection d’informations confidentielles et de données personnelles), l’intérêt général de la justice (notamment la protection de l’intégrité de la procédure) et l’intérêt de l’ordre public (afin d’éviter les demandes abusives). Le juge-rapporteur doit effectuer la balance entre ces différents intérêts afin de déterminer si le tiers membre du public peut accéder aux pièces du dossier. Le requérant souhaitant accéder au dossier doit avancer les raisons pour lesquelles il a un intérêt à accéder au dossier ainsi que son but afin que le juge-rapporteur prenne sa décision.
Lorsque la demande est toujours en instance, la Cour d’Appel semble considérer que l’intérêt général de la justice prévaut. En particulier, elle semble considérer que l’accès aux tiers membres du public aux pièces du dossier pourrait porter atteinte à l’intégrité de la procédure en créant des influences et des interférences externes. Cette position peut paraitre surprenante. En effet, dans la procédure d’opposition devant l’Office Européen des Brevets, toutes les pièces du dossier sont rapidement et facilement accessibles et il n’apparait pas en quoi cela pourrait porter atteinte à l’intégrité de la procédure.
La Cour d’Appel précise que, lorsque le tiers a un intérêt direct pour le dossier en question, par exemple par ce que la question de la validité du brevet impacte directement son activité, alors elle reconnait que l’intérêt du tiers devrait généralement être supérieur à l’intérêt général de la justice.
Si la procédure est terminée, plus de souplesse dans l’appréciation
Dans le cas 2, dans lequel la procédure n’est plus en instance, par exemple car une décision a été rendue, ou car les parties se sont entendues pour mettre fin à la procédure, la Cour d’Appel considère qu’il n’y a plus de risque de porter atteinte à l’intégrité de la procédure de sorte que l’intérêt général de la justice ne doit plus être pris en compte pour faire la balance des intérêts.
Elle considère qu’il devrait généralement être accordé aux tiers faisant parties du public d’accéder aux pièces du dossier, même lorsqu’aucune décision n’a été rendue.
Si une partie a spécifiquement requis la confidentialité de certaines informations
Dans le cas 3, dans lequel une partie à la procédure a demandé à ce que certaines informations des mémoires et preuves déposées soient gardées confidentielles, lorsqu’un tiers membre du public requiert que ces informations lui soient rendues accessibles, la balance des intérêts devra être effectuée uniquement entre l’intérêt du tiers membre du public et l’intérêt de la partie à la procédure.
En conclusion, cette décision de la Cour d’Appel de la JUB nous éclaire un peu plus sur les conditions d’accès au dossier pour un membre du public. Certains pourront déplorer que l’accès aux pièces du dossier ne soit pas plus simple et plus systématique comme c’est le cas par exemple avec l’Office Européen des Brevets. D’autres apprécieront toutefois que l’intérêt des différentes parties soit pris en compte afin de préserver la confidentialité de certaines informations.
3 – Quelle composition pour la cour d’appel ?
Cette décision a également été l’occasion de discuter de la composition des chambres de la Cour d’Appel de la JUB dans le cas particulier où l’objet de l’appel est de nature non-technique uniquement. La Cour d’Appel affirme que l’article 9(1) de l’AJUB n’est pas exhaustif de sorte que, dans le cas où l’objet de l’appel est de nature non-technique uniquement, les chambres peuvent siéger avec uniquement trois juges qualifiés sur le plan juridique.