L’INPI a décidé qu’une vidéo YouTube peut constituer un art antérieur opposable à un brevet, sous certaines conditions. Elle s’est aussi penchée sur l’admissibilité de requêtes déposées à un stade tardif de la procédure.
La décision de la division d’opposition OPP22-0015
Contexte
Un tiers a formé opposition à l’encontre du brevet en demandant la révocation totale pour manque de nouveauté ou d’activité inventive (articles L611-11, L611-14 CPI) à l’encontre du brevet FR 3 100 140.
Ce brevet décrit un dispositif et un procédé pour trier automatiquement des produits agricoles, tels que des bulbes entre eux (pommes de terre, carottes…). Les produits sont transportés sur un convoyeur et photographiés/filmés afin d’analyser leur aspect visuel (taille, forme, couleur, etc…), pour déterminer leur qualité et en fonction, leur adéquation à certaines catégories de tri.
Enregistrements et captures d’écran
L’Opposant citait des enregistrements d’une 1e et d’une 2e vidéos de machines de tris diffusées sur YouTube mises en ligne avant la date de dépôt du brevet en litige. Il citait également la brochure de la machine de la 1e vidéo, des captures d’écran montrant notamment les dates de la brochure et de la 1° vidéo, des articles de revues, et une demande de brevet.
Requêtes et arguments du Titulaire
Requête principale : le titulaire a requis le rejet de l’opposition.
Selon lui, il n’est pas prouvé que les vidéos fournies par l’Opposant soient fidèles aux vidéos originelles telles que mises en ligne initialement.
Il estimait également que l’accessibilité au public n’est pas établie. En effet, certaines vidéos peuvent être mises en ligne sur YouTube sans être indexées, ni référencées, le public n’ayant alors aucun moyen de les retrouver sans en connaitre l’adresse URL.
Le titulaire demande, en cas de refus de la requête principale, le maintien du brevet sous une forme modifiée, selon l’une des requêtes subsidiaires 1’’-4’’.
Vidéos YouTube dans l’état de la technique
L’utilisation de vidéos YouTube (ou d’autres contenus en ligne / plateformes) comme art antérieur est une question qui gagne en importance avec l’augmentation du contenu numérique.
Des preuves de la divulgation exigées :
Les éléments de preuve tels que l’horodatage de YouTube et les captures d’écran ont été acceptés par l’INPI pour établir la date de mise en ligne et l’accessibilité publique des vidéos (motifs II.2.1.1 [35-38]).
L’INPI rappelle qu’il n’est pas possible de « remplacer une vidéo car une nouvelle URL est attribuée à toute vidéo mise en ligne sur YouTube ».
En outre, « se référer uniquement aux nombres de vues et/ou de mentions « j’aime » ne permet pas de justifier une absence de référencement d’une vidéo sur YouTube. ». Une vidéo n’ayant aucune vue serait donc considérée comme accessible au public ? Un parallèle peut être fait avec le livre posé sur l’étagère de la bibliothèque et jamais emprunté…
En revanche, on peut noter que la capture d’écran montrant la date de création de la brochure n’a pas suffi à établir la date de divulgation. En effet la date de création de la brochure ne prouve pas sa date de publication.
L’enregistrement détruit la nouveauté :
La vidéo doit clairement divulguer les éléments techniques essentiels de l’invention pour être pertinente dans l’analyse de la nouveauté ou de l’activité inventive.
Le document D1 (enregistrement d’une vidéo YouTube) montre une machine Oculus en fonctionnement accompagné d’un commentaire audio en anglais. On y voit des pommes de terre (ou carottes) acheminées par un convoyeur qui génère une rotation afin de permettre une analyse par vision de tous les côtés et un tri vers différents bacs, ce qui correspond à l’objet revendiqué initialement.
La commission d’opposition est parvenue à la conclusion que le document D1 divulgue l’ensemble des caractéristiques techniques de la revendication n°1. La requête principale du titulaire a donc été rejetée.
Des Requêtes subsidiaires soumises 13 jours avant l’audience
Les requêtes subsidiaires 1’’ à 4’’ sont considérées tardives, car soumises en dehors des délais de la phase écrite, à seulement 13 jours de la date d’audition, en remplacement de premières requêtes 1’-6’.
Les requêtes 1’’, 4’’ sont présentées uniquement avec les modifications apparentes.
Admissibilité des requêtes subsidiaires
L’Opposant a indiqué qu’il a eu le temps de prendre connaissance des requêtes subsidiaires et ne s’oppose pas à leur admission.
L’INPI considère que le principe du contradictoire est respecté, d’autant plus que les modifications dans la requête 1’’ ont déjà été présentées dans la phase écrite à travers les premières requêtes 1’-6’ soumises.
Les requêtes subsidiaires 1’’ à 4’’ sont admises à condition de soumettre les exemplaires au propre manquants avant la fin de la phase orale (fournis durant une suspension de séance).
Examen des requêtes subsidiaires
La conformité de chaque requête est vérifiée (L. 613-23-3 I 1°, 2° et 3° CPI) :
L’INPI conclut que les modifications dans les requêtes subsidiaires 1’’ et 3’’ étendent l’objet du brevet au-delà du contenu de la demande telle que déposée (L. 613-23-3 I. 2° CPI). La revendication 1 modifiée incorpore les caractéristiques de la revendication 7 sans le mode préférentiel, et de la revendication 8 en partie sans l’une des alternatives.
En revanche, la requête subsidiaire 2’’ est admise et acceptée. Le brevet est maintenu sous forme modifiée selon cette requête.
Aucun recours n’a été formé.
En conclusion
Un aspect crucial est la fiabilité de la vidéo comme preuve et la préservation de cette preuve au fil du temps. Il est important de documenter la disponibilité et le contenu exact de la vidéo à une date donnée, par rapport au risque de retrait potentiel des vidéos sur YouTube.
On peut citer les décisions EP de la Chambre de Recours T 3071/19 ou T 3000/19, pour lesquelles les vidéos n’étant plus accessibles, au moment des recours, la Chambre n’a pu vérifier le bien-fondé des décisions, les affaires ayant été renvoyées devant la division d’examen.
On retient donc que l’INPI reconnaît les vidéos YouTube comme une divulgation publique pouvant être utilisée comme art antérieur. Elles doivent néanmoins satisfaire aux mêmes exigences que les publications écrites ou orales traditionnelles.
Il doit être clairement démontré que la vidéo était accessible au public avant la date effective du brevet en litige. Les parties peuvent apporter une preuve par tout moyen : l’horodatage de YouTube, des captures d’écran, sont acceptés pour établir la date de mise en ligne et l’accessibilité publique d’une vidéo. Un nombre de vues ou de mentions « j’aime » faible ne suffit pas à prouver un non-référencement.
Par ailleurs, l’INPI parait moins strict quant à l’admissibilité de requêtes qui pourraient être considérées comme « tardives » par d’autres juridictions.