Dans cette affaire CHEZ LA MERE POURCEL / LA MERE POURCEL, le demandeur à l’action en a effectivement fait les frais en voyant son action en nullité rejetée par deux fois, malgré les différents moyens invoqués.
Ainsi, par un arrêt du 11 juin 2024 (CA Rennes, 3e ch. com., n° 23/01520), la Cour d’Appel de Rennes a rejeté le recours formé par la Commune Ville de [Localité]-Commune Nouvelle de [Localité] contre la décision du directeur de l’INPI, qui avait rejeté sa demande en nullité de la marque LA MERE POURCEL. La Commune avait pourtant pris soin d’invoquer plusieurs motifs de nullité de la marque : le caractère trompeur de la marque, la mauvaise foi du déposant et l’atteinte à l’enseigne CHEZ LA MERE POURCEL, au surplus notoire.
Historiquement, la commune Ville de [Localité]-Commune Nouvelle de [Localité] est propriétaire d’un bâtiment historique dans lequel était exploité un restaurant sous l’enseigne CHEZ LA MERE POURCEL. Cet immeuble édifié en 1458 connu comme ‘La Maison POURCEL’ depuis 1944 fait partie du patrimoine médiéval de la ville de [Localité] et est situé dans le cœur de l’ancienne cité très fréquentée. Il bénéficie ainsi d’une renommée importante.
La société ESSAOUIRA représentée par M. [V], locataire d’un local commercial de ‘La Maison POURCEL’, de 2006 à 2015, avait déposé en 2006 une première marque CHEZ LA MERE POURCEL, exploitée comme activité de restauration et de vente de produits dérivés durant 10 ans, puis expirée en 2016, faute de renouvellement. En outre, après un incendie en 2019 qui avait ravagé le bâtiment historique, l’exploitation du fonds de commerce était devenue impossible et la Commune avait toutefois maintenu le site Internet www.chezlamerepourcel.com.
De son côté, Mr [V], par l’intermédiaire de la société ADSAV enregistra cette fois la marque verbale LA MERE POURCEL sous le numéro 20/4686794 en classes 29, 30, 32, 35 et 43.
La Commune forma alors une demande en nullité, que l’INPI rejeta.
Saisie d’un recours, la Cour d’Appel de Rennes ne fait que confirmer ce rejet, en étudiant en détail chacun des motifs de nullité invoqués :
Sur le caractère trompeur de la marque contestée
RAPPEL DE LA COUR D’APPEL : le demandeur à l’action en nullité doit établir que la marque contestée est de nature à tromper le public à la date du dépôt de la marque.
Ainsi, la Cour précise que la Commune doit prouver que le consommateur moyen attribue chaque produit et service des classes de la marque contestée, au restaurant CHEZ LA MERE POURCEL.
Méthodiquement, la Cour relève d’abord la similitude entre les signes en présence, ainsi que l’identité et la similitude entre les produits et services des classes 29, 30, 32 et 43, à l’exclusion des services de la classe 35.
La Cour relève ensuite que le restaurant CHEZ LA MERE POURCEL a pu avoir une renommée locale à [Localité] et dans sa proximité, voire dans la région Bretagne, au regard notamment de l’attractivité touristique de la ville de [Localité] et de l’emplacement de l’établissement dans un bâtiment historique et typique. Toutefois, il n’est pas établi que cette réputation ait dépassé les environs de l’agglomération dinannaise.
La Commune ne parvient donc pas à démontrer qu’un nombre important de consommateurs moyens répartis sur tout le territoire national pensant obtenir un produit ou service issus du restaurant CHEZ LA MERE POURCEL, soit trompé en se servant chez LA MERE POURCEL et ce d’autant que depuis 2019 le restaurant n’a plus d’activité.
Sur la mauvaise foi du déposant
RAPPEL DE LA COUR D’APPEL : les conditions d’appréciation de la mauvaise foi d’un déposant comme établies par la Cour de Justice sont les suivantes :
« La circonstance que le demandeur sait ou doit savoir qu’un tiers utilise un tel signe ne suffit pas, à elle seule, pour établir l’existence de la mauvaise foi de ce demandeur. II convient, en outre, de prendre en considération l’intention dudit demandeur au moment du dépôt de la demande d’enregistrement d’une marque, élément subjectif qui doit être déterminé par référence aux circonstances objectives du cas d’espèce » (CJUE, 27 juin 2013).
A cet égard, la Cour souligne le fait que la mauvaise foi du déposant n’est pas caractérisée lorsque le dépôt de la marque est effectué pour conforter des droits préexistants exploités par ce déposant.
Or, en l’espèce, les pièces au débat démontrent qu’après avoir cessé d’exploiter le restaurant en 2015 et la marque CHEZ LA MERE POURCEL jusqu’en 2016, près de 10 ans plus tard, le gérant de la société ADSAV, M. [V] souhaitait reprendre une activité quasi similaire.
En outre, la Cour relève que la Commune n’apporte aucune pièce de nature à établir qu’au moment du dépôt de la marque contestée, elle s’apprêtait à installer un nouveau locataire commercial dans l’immeuble. Elle ne peut donc subodorer que la société ADSAV par son dépôt, entendait brider l’activité commerciale d’un concurrent potentiel et limiter l’exploitation libre du signe CHEZ LA MERE POURCEL.
La Cour d’Appel en conclut donc logiquement que la mauvaise foi du déposant n’est pas établie.
Sur le risque de confusion avec l’enseigne
RAPPEL DE LA COUR D’APPEL : -une enseigne ne bénéficie d’une protection que si elle est reconnue sur l’ensemble du territoire national et s’il existe un risque de confusion dans l’esprit du public avec la marque contestée. En outre,
-une enseigne est connue nationalement lorsqu’une des informations et/ou une publicité concernant cette enseigne et l’immeuble sur lequel elle s’affiche, a été diffusée sur l’ensemble du territoire.
Ainsi, la Cour rappelle que la Commune ne peut s’opposer au dépôt de la marque LA MERE POURCEL que si l’enseigne qu’elle entend protéger avait, à la date du dépôt, acquis un rayonnement s’étendant à l’ensemble du territoire.
Or en l’espèce, les preuves rapportées par la Commune étaient limitées à l’agglomération locale voire tout au plus à sa proximité immédiate ou n’était pas de nature à établir l’intérêt d’un public élargi et se limitait à un fait divers qui n’appelle pas de développement à long terme de nature à attirer un large public.
Pour écarter le risque de confusion avec l’enseigne, la Cour en conclut que les preuves rapportées sont insuffisantes à établir le rayonnement d’importance de l’enseigne CHEZ LA MERE POURCEL.
Sur l’irrecevabilité du moyen tiré de l’atteinte à la marque notoire
RAPPEL DE LA COUR D’APPEL : Après le dépôt de l’action, la demande en nullité ne peut être étendue à d’autres motifs ou d’autres produits ou services que ceux invoqués ou visés dans la demande initiale.
Or, le formulaire de nullité déposé devant l’INPI ne reprenait pas le moyen de nullité tiré de l’atteinte à la marque notoire.
Dans ces conditions, inévitablement, la Cour déclare irrecevable le moyen de nullité tiré de l’atteinte à la marque notoire.
Même si l’on peut comprendre la position de la Collectivité qui souhaitait empêcher la reprise de ce qu’elle estimait être, une enseigne du patrimoine, d’un point de vue juridique, on ne peut que constater que cet arrêt apparaît tout à fait cohérent par rapport au texte de loi et à la jurisprudence courante.
Cette affaire a ainsi le mérite de rappeler les conditions d’appréciation de chacun des moyens de nullité de marque invoquée dans la présente affaire, et les réflexes à avoir dans une action en nullité basée sur l’un et/ou l’autre de ces moyens.