Dans une récente décision, la Cour de cassation s’est alignée sur la pratique de l’Office européen des brevets pour déterminer si les demandes de brevet français peuvent faire l’objet de dépôts de demandes divisionnaires en cascade.
Rejet par l’INPI d’une demande divisionnaire de « seconde génération »
L’affaire concerne un litige opposant la société Kubota Corporation (la société Kubota) au directeur général de l’Institut national de la propriété industrielle (INPI). La société Kubota a déposé une demande de brevet auprès de l’INPI le 21 mars 2008, puis a valablement déposé une première demande divisionnaire le 22 avril 2015. Ensuite, le 1er mars 2018, elle a déposé une seconde demande divisionnaire. A ce moment-là, la première demande divisionnaire est encore en instance, mais pas la demande de brevet initiale.
Le 27 août 2018, le directeur général de l’INPI a déclaré irrecevable la seconde demande divisionnaire. La société Kubota a formé recours de cette décision auprès de la Cour d’appel de Paris, laquelle a décidé de rejeter ledit recours.
Les dispositions du CPI interprétées par la Cour d’appel
Les principales dispositions relatives aux demandes divisionnaires sont énoncées dans les articles L612-4 et R612-34 du Code de la propriété intellectuelle (CPI). Ce dernier article dispose : « Jusqu’au paiement de la redevance de délivrance et d’impression du fascicule du brevet, le déposant peut, de sa propre initiative, procéder au dépôt de demandes divisionnaires de sa demande de brevet initiale. »
La Cour d’appel a fondé sa décision sur une interprétation de cet article selon laquelle le terme « brevet » renvoie à la « demande de brevet initiale » énoncée à la fin de l’article, et a conclu que le dépôt d’une demande divisionnaire n’est plus possible une fois que la redevance de délivrance et d’impression du fascicule du brevet a été acquittée pour la demande initiale. Cette décision avait été largement commentée et s’appuyait sur une pratique de l’INPI, établie depuis plusieurs années, consistant à ne pas admettre les demandes divisionnaires en cascade.
La Cour de cassation arrive à une conclusion inverse
La société Kubota s’est pourvue en cassation, et la Cour a rendu sa décision le 30 août 2023. Après un énoncé des faits et un rappel des dispositions légales mentionnées supra, la Cour de cassation s’appuie immédiatement sur la pratique de l’Office européen des brevets (OEB) concernant les demandes divisionnaires. L’article 76 de la version en vigueur au moment des faits de la Convention de Munich et la règle 36 de son Règlement d’exécution disposent respectivement que « toute demande divisionnaire de brevet européen doit être déposée directement auprès de l’Office européen des brevets conformément au règlement d’exécution » et que « le demandeur peut déposer une demande divisionnaire relative à toute demande de brevet européen antérieure encore en instance ». Les Directives relatives à l’examen pratiqué à l’OEB (partie A, Chapitre IV, 1.1.1) indiquent explicitement ce à quoi renvoie la notion de « demande antérieure ». Cette notion désigne « une demande déposée au moins un jour avant la demande divisionnaire et fait référence à la demande la plus proche sur laquelle la demande divisionnaire est fondée (« demande initiale ») ».
Dans un intérêt de convergence dans la protection des innovations en France et en Europe, la Cour de cassation a interprété les articles L612-4 et R612-34 du CPI à la lumière de la pratique de l’OEB. Elle ainsi considéré que le terme « brevet » renvoie à la demande la plus proche sur la demande divisionnaire en question est fondée, et non pas à la demande de brevet initiale.
Un retour à une situation plus favorable aux déposants
Dès lors, la Cour a cassé et annulé l’arrêt rendu par la Cour d’appel et, ce faisant, rend possible le dépôt de demandes divisionnaires en cascade en France.
La Cour a renvoyé l’affaire et les parties devant la cour d’appel de Paris. Selon toute vraisemblance on devrait revenir à la pratique de l’INPI jusqu’en 2011 : le dépôt de demande divisionnaire est autorisé dès lors qu’une demande antérieure est toujours en instance.