La différence d’analyse de nouveauté et d’activité inventive entre un produit et le procédé d’obtention dudit produit est un principe établi dans la jurisprudence. La Cour d’appel de Paris – chambre 1, 9 novembre 2021, n° 18/23261, a eu l’occasion de le rappeler.
Un litige entre deux sociétés autrefois partenaires aboutit à l’annulation du brevet en première instance
La société FIPROFIL est titulaire d’un brevet européen EP 2 199 493 bénéficiant de la priorité d’un dépôt français datant du 26 février 2009 et validé en France, et portant sur un procédé de fabrication d’une armature utilisée pour le coffrage rapide et le montage de murs, dalles, planchers et similaires ainsi que sur l’armature obtenue selon ce procédé.
FIPROFIL estimait que la société SEB DIFFUSION, ancien partenaire mais également partie adverse dans un ancien litige, détenait et commercialisait une armature utilisée pour le coffrage rapide et le montage de murs, dalles, planchers et similaires reproduisant les revendications 1 à 4 de la partie française de son brevet européen. La société FIPROFIL a saisi le tribunal de grande instance de Paris par assignation du 4 décembre 2015.
Le tribunal de grande instance de Paris avait conclu à la nullité de la partie française du brevet européen EP 2 199 493 qui avait donc été annulée. La société FIPROFIL était également déboutée de son action en concurrence déloyale et condamnée à verser des dommages et intérêts pour procédure abusive et au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La société FIPROFIL a interjeté appel de la décision du tribunal de grande instance de Paris.
En appel, la cour confirme et explicite la démarche à suivre
Après une discussion concernant le domaine technique relatif à l’invention et la solution proposée par cette dernière au problème technique défini vis-à-vis d’un art antérieur (qui est un brevet détenu par le gérant de la société SEB DIFFUSION), la cour d’appel s’est dans un premier temps penchée sur la définition de l’homme du métier.
De manière assez classique dans le cadre de cette discussion, la cour rappelle que l’homme du métier est celui qui agit dans le domaine technique où se pose le problème que l’invention se propose de résoudre, qui n’est pas un simple utilisateur mais plutôt un concepteur du produit ou du procédé en cause.
Brevetabilité d’un produit ou de son procédé d’obtention : la Cour rappelle que l’une n’entraine pas obligatoirement l’autre
Cette décision de la cour d’appel de Paris permet de rappeler la différence en termes de brevetabilité entre un produit et un procédé d’obtention d’un tel produit.
Dans le cas présent, la cour d’appel de Paris confirme la décision de première instance en considérant que l’objet de la revendication 2, portant sur une armature utilisée pour le coffrage rapide et le montage de murs, est dépourvu de nouveauté vis-à-vis d’un produit commercialisé avant la date de priorité du brevet de la société FIPROFIL et divulguant l’ensemble des caractéristiques de l’objet de la revendication 2.
La cour note par ailleurs que ce produit était commercialisé dès 2008 par … la société FIPROFIL (!) pour le compte du gérant de la société SEB DIFFUSION.
La cour critique, à juste titre, le fait que l’appelant a, pour justifier la validité de la revendication 2 de produit, seulement fait référence « aux développements relatifs à l’examen de la validité du procédé protégé par la revendication 1 du même brevet ». Or, la démonstration de la validité d’une revendication de procédé ne peut normalement pas servir à démontrer la validité d’une revendication portant sur un produit obtenu par ce procédé, ce produit pouvant déjà exister en ayant été produit d’une manière différente. En d’autres termes, un produit doit en règle générale se différencier de l’art antérieur par des caractéristiques intrinsèques du produit.
Revendications de « product-by-process », un cadre défini
On rappellera à ce sujet l’existence de revendications portant sur un produit obtenu par un procédé, visant à définir un produit par l’intermédiaire de son procédé d’obtention. Cependant, les Directives relatives à l’examen pratiqué de l’Office européen des brevets précisent que :
- « une revendication qui définit un produit par un procédé doit être interprétée comme une revendication portant sur le produit en tant que tel. Le contenu technique de l’invention réside non pas dans le procédé en tant que tel, mais dans les propriétés techniques que ce procédé confère au produit», et que
- « les revendications de produit dans lesquelles le produit est défini par son procédé de fabrication ne sont admissibles que si le produit en tant que tel satisfait aux conditions de brevetabilité, à savoir entre autres, s’il est nouveau et implique une activité inventive, et si le produit revendiqué ne peut pas être défini autrement que par son procédé d’obtention. Un produit ne devient pas nouveau par le seul fait qu’il est obtenu par un nouveau procédé.»
Il faut toutefois noter que la cour d’appel de Paris a, à la fin des années 2000, estimé que la formulation « Produit obtenu par le procédé Y » ne couvre que le produit effectivement obtenu par ce procédé et que, par conséquent, un produit obtenu par un autre procédé n’anticipera pas la revendication (Cour d’appel de Paris, 4e chambre section B, 28 mars 2008). Soulignons cependant que ce jugement a surtout été prononcé en conséquence de l’incapacité de la partie remettant en cause la nouveauté de cette revendication de produit à apporter des éléments permettant une comparaison des deux produits. La cour avait retenu dès lors un argumentaire selon lequel deux procédés, au moins dans ce cas d’espèce, ne peuvent aboutir à deux produits strictement identiques.
On pourra également s’interroger sur l’intérêt d’une revendication de ce type, considérée comme limitée au produit directement obtenu par un procédé, si ce procédé est revendiqué par ailleurs, conférant de facto une protection sur le produit directement obtenu par un procédé (article L613-3 du Code de la propriété intellectuelle).
Les conclusions concernant la brevetabilité d’un produit ne s’appliquent pas à son procédé d’obtention
Concernant la nouveauté de l’objet de la revendication 1 de procédé, les rôles se retrouvent inversés. La société SEB DIFFUSION estimait que la divulgation d’un produit antérieur à la date de priorité du brevet permet à l’homme du métier d’en déduire le procédé de fabrication par une conception aisée de l’outil de fabrication du produit.
La cour ne suit pas cet argumentaire et ajoute que « la seule commercialisation [du produit] ne peut suffire à prouver la divulgation antérieure d’un procédé parfaitement identique à celui décrit et protégé dans la revendication 1 du brevet, puisqu’elle ne permet pas, à elle seule, d’enseigner les quatre phases spécifiques du procédé et ne constitue pas en conséquence une antériorité de toute pièce. ». La cour attendait donc une démonstration quant à l’absence de nouveauté du procédé basée sur une antériorité portant elle-même sur un procédé.
Cette prise de position est en ligne avec celle portant sur la nouveauté de la revendication de produit. En effet, si la nouveauté d’un procédé ne permet de déduire directement la nouveauté d’un produit obtenu par ce procédé, l’absence de nouveauté d’un produit ne permet pas d’en déduire directement l’absence de nouveauté d’un procédé. Ce dernier pourra suffisamment se démarquer d’un procédé existant pour être nouveau et présenter une activité inventive vis-à-vis de celui-ci, quand bien même les deux procédés aboutissent à la fabrication d’un même produit.
Brevetabilité n’implique pas liberté d’exploitation
Il faut toutefois préciser qu’un tel procédé, bien que brevetable, ne pourrait être mis en œuvre sur un territoire donné si le produit obtenu par cette mise en œuvre fait l’objet d’un monopole sur ce même territoire. Cette absence de liberté d’exploitation devra alors faire l’objet d’une attention particulière afin d’évaluer par exemple la validité d’un tel monopole, par exemple dans l’optique d’une transaction.
La cour confirme donc la décision de première instance selon laquelle l’objet de la revendication 1 est nouveau vis-à-vis de l’art antérieur cité. Cependant, elle confirme également la décision de première instance selon laquelle l’objet de la revendication 1 n’implique pas d’activité inventive vis-à-vis de l’art antérieur cité (conclusion différente de celle de l’OEB), tout comme les objets des revendications 3 et 4, cela conduisant à l’annulation de la partie française du brevet européen EP 2 199 493.
En conclusion, la cour d’appel de Paris confirme en tous points la décision de première instance et condamne par ailleurs la société FIPROFIL au paiement à la société SEB DIFFUSION et à M. E-F X (gérant de SEB DIFFUSION) de la somme de 10 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Des enseignements à prendre en compte dans une stratégie de propriété industrielle
Cette décision, bien que classique dans son contenu, permet de faire un rappel utile quant à la distinction à faire entre un produit et un procédé permettant d’obtenir ce produit. Il s’agit ici d’identifier clairement l’objet de l’invention dans l’optique de déposer une demande de brevet conférant une protection adaptée mais également d’effectuer une comparaison précise avec l’art antérieur opposable : ces deux étapes permettront de ne pas conclure de manière trop hâtive voire erronée quant à la brevetabilité d’une invention.
Il peut par exemple être tout à fait pertinent de vouloir obtenir un monopole sur un nouveau procédé de fabrication d’un produit connu par ailleurs. En effet, un tel procédé peut présenter des avantages industriels et commerciaux vis-à-vis des procédés existants. De plus, et dans le cas d’une problématique de liberté d’exploitation liée à l’existence d’un monopole sur le produit obtenu par la mise en œuvre d’un tel procédé, un titre portant sur ce procédé peut s’avérer utile voire déterminant dans le cadre d’une transaction, par exemple par négociation d’une licence croisée entre les parties.