Deux arrêts de la Chambre commerciale de la Cour de cassation rendus le 13 octobre 2021 ont opéré un revirement de jurisprudence : le dépôt d’une marque n’est plus, à lui seul, constitutif d’un acte de contrefaçon.
Cette nouvelle jurisprudence a été rendue à la lumière de la décision Daimler de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, arrêt du 3 mars 2016, C-179/15).
Les faits de l’espèce
Dans le premier arrêt (ci-après arrêt Wolfberger), la société Domaine Lucien Albrecht, mise en liquidation judiciaire en 2012, fut acquise par la société Wolfberger. Son fonds de commerce comprenait notamment plusieurs marques désignant des produits en classes 32 et 33, dont des marques « Lucien Albrecht» et « Weid ».
Suite à cette liquidation, son ancien dirigeant et ses filles ont déposé plusieurs marques en classes 32 ou 33 (notamment « Jean Albrecht », « Le Weid de Jean Albrecht » et « Famille Albrecht ») mais qui ont finalement été refusées par l’INPI.
La société Wolfberger a assigné l’ancien dirigeant et ses filles et les sociétés qu’ils ont constituées pour contrefaçon de ses marques et concurrence déloyale. Reconventionnellement, les assignés ont attaqué la société Wolfberger en concurrence déloyale, notamment pour s’être approprié l’histoire familiale de la famille Albrecht.
En cassation, la société Wolfberger fait notamment grief à l’arrêt de la Cour d’appel de ne pas avoir reconnu les dépôts des marques comme des actes de contrefaçon.
Dans le second arrêt (ci-après arrêt Malongo), la société Compagnie méditerranéenne des cafés est titulaire de la marque XPOD déposée en 2005 pour des produits en classes 7, 11 et 21. La société Technopool est titulaire de marques semi-figuratives Z POD déposées en 2014 pour des produits en classes 7, 11, 21 et 30.
La société Compagnie méditerranéenne des cafés a assigné notamment la société Technopool en contrefaçon de sa marque XPOD.
Devant la Cour de cassation, la société Compagnie méditerranéenne des cafés fait grief à l’arrêt de la Cour d’appel de l’avoir déboutée de sa demande en contrefaçon.
Les décisions de la Cour de cassation : un revirement
Dans ces deux décisions Wolfberger et Malongo, la Chambre commerciale a donné une nouvelle interprétation des articles L713-2, L713-3 et L716-1 du Code de la Propriété Intellectuelle dans leur rédaction antérieure à celle de l’ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019 (transposant le « Paquet Marques »), à la lumière de la décision Daimler de la Cour de Justice de l’Union européenne, pourtant rendue plus de cinq ans plus tôt.
La Cour de cassation a en effet considéré dans les deux cas d’espèce que « la demande d’enregistrement d’un signe en tant que marque, même lorsqu’elle est accueillie, ne caractérise pas un usage pour des produits ou des services, au sens de la jurisprudence de la CJUE, en l’absence de tout début de commercialisation de produits ou services sous le signe. De même, en pareil cas, aucun risque de confusion dans l’esprit du public et, par conséquent, aucune atteinte à la fonction essentielle d’indication d’origine de la marque, ne sont susceptibles de se produire.
Dès lors, la demande d’enregistrement d’un signe en tant que marque ne constitue pas un acte de contrefaçon ».
Jusqu’ici, la jurisprudence française (certes contestée par certains juges du fond) considérait que le seul dépôt d’une marque, indépendamment de son usage, était constitutif d’un acte de contrefaçon.
Pourtant, les critères constitutifs d’une contrefaçon donnés par la jurisprudence sont :
- un usage de la marque seconde pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux de la marque antérieure ;
- un usage de la marque seconde dans la vie des affaires ;
- un usage sans le consentement du titulaire de la marque antérieure ;
- un usage susceptible de créer un risque de confusion avec la marque antérieure.
Or, cet usage « pour des produits et services dans la vie des affaires » implique une exploitation commerciale à destination du public pertinent, autrement dit une commercialisation.
Assez justement, la Cour de cassation a saisi l’occasion des deux arrêts Wolfberger et Malongo pour se ranger à l’avis de la Cour de justice de l’Union européenne en estimant que le seul dépôt d’une marque n’est pas synonyme d’usage dans la vie des affaires et n’est donc pas un acte de contrefaçon. Désormais, la jurisprudence à appliquer est claire.
Espérons que les juges du fond suivront cette nouvelle interprétation qui semble plus cohérente par rapport à la réalité du marché. Il nous semble en effet que seule l’exploitation commerciale d’une marque est susceptible de créer une réelle confusion avec une marque antérieure vis-à-vis des consommateurs, une atteinte à sa fonction d’identité d’origine et donc un préjudice quantifiable pour son titulaire.