Dans une décision récente, la Cour d’appel de Paris vient de préciser le territoire à prendre en compte pour apprécier la renommée d’une marque de l’Union européenne dans le cadre d’une opposition contre une marque nationale : la renommée a été reconnue alors même que le territoire de renommée n’était pas celui où la marque postérieure objet de l’opposition avait été déposée.
Selon l’article L713-3 du code de la propriété intellectuelle ou le Règlement sur la marque de l’Union européenne (RMUE), la marque renommée est une marque enregistrée ou déposée bénéficiant d’une protection élargie.
En effet, contrairement aux marques dites « classiques », qui obéissent au principe de spécialité selon lequel la protection ne vaut que pour les produits et services désignés par le biais de la marque ou des produits et services similaires, la marque renommée dispose d’une protection pour tous les produits et services, y compris ceux qu’elle ne couvre pas ou qui ne leur sont pas similaires.
Il s’agit donc d’un atout important, notamment lorsque son titulaire souhaite s’en servir pour former opposition à l’encontre d’une demande d’enregistrement gênante détectée, puisqu’il n’aura pas besoin de prouver l’identité ou la similarité des produits et/ou services visés, mais se contentera de comparer les signes afin de conclure à une identité ou une similitude de la demande postérieure avec la marque antérieure renommée.
En cas d’atteinte à une marque renommée, le titulaire de celle-ci devra prouver :
- que la marque renommée est connue d’une partie significative du public pertinent ;
- que les signes en cause sont identiques ou à tout le moins similaires ;
- qu’il existe un lien entre les signes en cause ;
- qu’une atteinte est portée à la marque renommée (risque d’un profit indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure, ou préjudice portée à celle-ci) sans juste motif.
La Cour d’appel de Paris vient récemment de préciser le premier critère dans un arrêt du 12 février 2021.
En l’espèce, l’opposition avait été formée sur la base d’une marque de l’Union européenne dont la renommée était revendiquée pour des chocolats exploités depuis plus de 50 ans en Allemagne et en Autriche, et depuis plus de 17 ans dans les autres pays de l’Union européenne.
Son titulaire avait fourni les éléments suivants pour démontrer la renommée de sa marque :
- preuves de l’exploitation ancienne et intensive de la marque ;
- preuves des volumes de vente importants ;
- preuves de investissements publicitaires et promotionnels conséquents.
Par ailleurs, un sondage avait été effectué, dont les résultats confirmaient un haut degré de connaissance de la marque pour les produits en classe 30 dans de nombreux pays de l’Union européenne.
Par un jugement du 25 avril 2017, la Cour d’appel de Paris n’avait pas considéré être face à une marque renommée puisqu’elle avait retenu qu’il n’avait pas été démontré que la marque était connue d’une partie significative du public pertinent de l’État membre dans lequel la demande contestée avait été déposée (à savoir la France).
Toutefois, suite à cette décision, la Cour de cassation avait partiellement cassé cet arrêt et renvoyé l’affaire devant la Cour d’appel de Paris, qui a considéré qu’il était prouvé que la marque était connue en Allemagne, en Belgique, en Espagne, en Autriche, aux Pays-Bas et en Slovénie, ce qui suffisait pour retenir la renommée de la marque sur le territoire de l’Union européenne.
Elle a en effet appliqué le même raisonnement que celui des arrêts de la CJUE Pago (2009) et Iron & Smith (2015), selon lequel la renommée établie pour une partie substantielle de l’Union européenne suffit à faire reconnaître la renommée dans l’Union européenne sans que l’on doive apporter la preuve de la renommée sur le territoire où la marque postérieure objet de l’opposition a été déposée.
Il n’était donc pas nécessaire de démontrer ici que la marque était renommée en France, puisqu’il avait déjà été démontré qu’elle était renommée dans de nombreux autres États membres de l’Union européenne.