Par un arrêt rendu le 18 juin 2020, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a confirmé la décision du Tribunal de l’Union européenne, et de ce fait reconnu le caractère descriptif d’une marque ayant une signification en langue russe. Cette décision confirme que le caractère descriptif d’une marque doit s’apprécier au regard du public pertinent qui peut être une communauté linguistique, indépendamment du territoire d’un ou plusieurs pays.
Rappelons au préalable que, selon la règlementation applicable aux marques de l’Union européenne[1] : « 1. Sont refusés à l’enregistrement : c) les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d’indications pouvant servir, dans le commerce, à désigner l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l’époque de la production du produit ou de la prestation du service, ou d’autres caractéristiques de ceux-ci (…) ».
Cette disposition vise à éviter qu’une entreprise monopolise l’utilisation d’un terme descriptif au détriment d’autres entreprises, qui ont besoin de vocabulaire disponible pour décrire leurs propres produits.
La règlementation précise que cette règle est applicable « même si les motifs de refus n’existent que dans une partie de l’Union ». Autrement dit, si une marque est descriptive pour une partie seulement du public de l’Union européenne, elle peut être annulée.
La CJUE est venue ici préciser cette notion de « partie de l’Union », qui peut selon elle s’entendre d’un territoire plus restreint que le territoire d’un seul État membre : une communauté linguistique.
La marque PLOMBIR en question
Les offices et tribunaux de l’Union européenne ont longuement examiné la question de savoir si le signe PLOMBIR était descriptif des produits revendiqués.
Le terme Plombir est en effet la translittération du terme «Пломбир», qui peut signifier «glace» en russe – et c’est précisément pour ces produits que la marque PLOMBIR a été enregistrée au sein de l’Union européenne en 2010. Ces produits sont largement vendus en Allemagne.
En mai 2014, une demande en nullité partielle de la marque PLOMBIR a été formée par une société concurrente, au motif que cette marque présenterait un caractère descriptif pour des glaces. Pour se défendre, le titulaire de la marque attaquée soutenait principalement que la langue russe n’était pas suffisamment établie sur le territoire de l’Union européenne pour être prise en compte.
Cette question a animé les débats au sein de l’office et des tribunaux pendant plusieurs années.
D’abord acceptée par la division d’annulation de l’EUIPO, puis rejetée par la quatrième chambre de recours, l’action en nullité a finalement obtenu gain de cause devant le Tribunal de l’Union européenne.
Les partisans du caractère non descriptif de la marque PLOMBIR invoquaient, en substance, qu’il n’avait pas été prouvé que les consommateurs allemands – ou une partie suffisamment importante de ceux-ci – comprenaient le russe.
La langue russe est-elle comprise par une partie notoire de la population européenne ?
Le tribunal, quant à lui, considérait :
- Qu’une partie importante de la population allemande parlait la langue russe (selon une décision de jurisprudence, la population russophone résidant sur le territoire allemand aurait compté environ trois millions de personnes à l’époque) ;
- Qu’une partie importante des ressortissants des États baltes connaissaient aussi la langue russe ou la parlaient en tant que langue maternelle ;
- Que la compréhension de la langue russe dans l’Union et, en particulier, dans les États baltes, pouvait donc être qualifiée de « fait notoire ».
En d’autres termes, le public pertinent, par rapport auquel il convenait d’apprécier le prétendu caractère descriptif de la marque PLOMBIR, était un public russophone, englobant le grand public de l’Union qui comprend ou parle la langue russe, et résidant, notamment, en Allemagne et dans les États baltes.
Le tribunal a ainsi considéré que le terme « PLOMBIR » ou « Пломбир » était descriptif des produits en cause en langue russe.
Cet arrêt a été confirmé par la CJUE, celle-ci déclarant à nouveau qu’il était «de notoriété publique » qu’une proportion importante des habitants des États baltes parle le russe ou a le russe comme langue maternelle.
Une décision dont l’application pourra s’étendre à d’autres langues ?
Cette décision confirme qu’un signe peut être exclu de la protection par le droit des marques même si le motif absolu de refus dont il est entaché n’existe que dans une partie d’un État membre de l’Union européenne.
Elle illustre également que les mots tirés d’une langue commune – que cette langue soit ou non une langue officielle de l’Union européenne – ne seront probablement pas éligibles à la protection des marques. Aujourd’hui, le problème se pose le plus souvent avec des mots issus des langues comme l’anglais, l’espagnol, le russe ou le turc. Mais l’on peut envisager qu’il se posera bientôt avec pertinence pour d’autres langues telles que le japonais, le chinois, ou le coréen, à mesure que le public concerné dans l’Union européenne, qui comprend ces langues, continuera de croître.
[1] Règlement (UE) 2017/1001 du 14 juin 2017, remplaçant le règlement (CE) 207/2009 sur la marque communautaire, applicable à l’époque des faits