Loi PACTE : ses effets en matière de brevets.
Ce 22 mai 2020 entrent en vigueur quelques-unes des dispositions de la loi Pacte, d’autres le sont depuis janvier ou avril 2020 ou encore le seront en juillet 2020. Voici l’occasion d’en reprendre ses effets sur les brevets en France, à présent que les dispositions réglementaires ont été prises.
La loi PACTE, adoptée par l’Assemblée nationale le 11 avril 2019, a généré de nombreuses modifications en matière de brevets devenues effectives ou bien sur le point de l’être, notamment les suivantes :
– depuis janvier 2020, le renforcement du certificat d’utilité, dont la durée est passée de 6 ans à 10 ans, et la possibilité de transformation d’une demande de certificat d’utilité en demande de brevet ;
– depuis avril 2020, la mise en place d’une procédure d’opposition aux brevets français ;
– à partir du 22 mai 2020, l’introduction de l’examen de l’activité inventive pour les demandes de brevet français.
Voici une présentation de ces changements importants côté brevets.
Renforcement du certificat d’utilité
Un certificat d’utilité obtenu sur la base d’une demande de certificat d’utilité déposée à compter du 10 janvier 2020 a une durée maximale de 10 ans à compter du dépôt (L. 611-2 2° CPI), contre 6 ans auparavant. La France harmonise en cela la durée de son certificat d’utilité avec une durée existant habituellement à l’étranger pour ce type de titre de propriété industrielle, comme par exemple le « Gebrauchsmuster » en Allemagne ou le modèle d’utilité en Chine.
En outre, il faut relever que cet allongement de durée s’applique également à tous les certificats d’utilité qui étaient encore en vigueur le 10 janvier 2020, des dispositions transitoires étant prévues pour le paiement de la 7ème annuité (dont le paiement avec surtaxe est effectivement possible jusqu’au 11 novembre 2020).
En outre, il est non seulement possible, comme auparavant, de transformer une demande de brevet en demande de certificat d’utilité, mais également de transformer une demande de certificat d’utilité en demande de brevet, pour toute demande de certificat d’utilité déposée depuis le 11 janvier 2020.
Comme anticipé dans notre précédent article1 relatif à ce sujet, le délai de transformation est effectivement inférieur à dix-huit mois à compter de la date de dépôt ou de priorité, du fait que la requête en transformation doit être présentée avant le début des préparatifs techniques liés à la publication. La durée de ces préparatifs techniques est actuellement de 6 semaines depuis la décision n° 2011-714 du 12 décembre 2011, 1er article. Ainsi, le délai de transformation a été judicieusement prévu afin de permettre une publication correcte de la demande, ce dans l’intérêt des tiers.
En outre, la correction du type de titre de propriété industrielle demandé est également facilitée en cas d’erreur commise sur le type de titre lors du dépôt, du fait de cette possibilité de transformation bilatérale.
Enfin, pour rappel, la pertinence d’une telle transformation sera à considérer, au vu du rapport de recherche préliminaire et des nouveaux critères de rejet attribués à l’INPI, notamment le défaut d’activité inventive (voir ci-dessous). Ainsi, en cas de doute sur la nouveauté ou désormais l’activité inventive d’une invention, ou encore si l’on souhaite limiter les coûts de procédure, il pourrait être opportun de transformer sa demande de brevet en demande de certificat d’utilité. Cela permettra d’éviter d’encourir le rejet de la demande pour défaut de nouveauté ou d’activité inventive et d’obtenir la délivrance d’un certificat d’utilité, d’une durée certes moins longue (10 ans pour un certificat d’utilité contre 20 ans pour un brevet), mais néanmoins correcte.
Procédure d’opposition aux brevets délivrés par l’INPI
Les brevets délivrés depuis le 1er avril 2020 peuvent faire l’objet d’une procédure d’opposition, afin de permettre aux tiers d’obtenir la modification ou la révocation d’un brevet devant l’INPI. Ainsi, la procédure d’opposition n’est pas ouverte à l’encontre des certificats d’utilité. Par ailleurs, bien qu’initialement le législateur avait prévu la possibilité de veiller à prévenir les procédures abusives, aucune limite liée notamment à un quelconque intérêt à agir n’a finalement été fixée. Ainsi, il est notamment possible de former une opposition par le biais d’un tiers, agissant comme « homme de paille ». Seul le titulaire lui-même ne peut former opposition à l’encontre de son propre brevet.
Un intérêt d’une telle procédure administrative d’opposition est ainsi de permettre d’obtenir une décision favorable dans un délai raisonnable (de l’ordre de 12 à 18 mois) et à moindre coût, comparativement à une action judiciaire en nullité. La taxe d’opposition, d’un coût modéré, s’élève à 600 €.
S’agissant des grandes lignes de la procédure, celles-ci ont fort heureusement été établies dans un souci d’harmonisation européenne avec la pratique de l’Office européen des brevets (OEB), notamment en ce qui concerne le délai pour former opposition et les principaux aspects de fond (motifs d’opposition).
Néanmoins, la procédure d’opposition devant l’INPI pour ces brevets français semble différer sur certains points de celle devant l’OEB en matière de brevets européens, notamment ceux énoncés ci-après :
– La procédure d’opposition se décompose en différentes phases temporellement contraintes, afin d’en limiter sa durée :
- Le dépôt de la demande d’opposition (dans les 9 mois à compter de la publication de la mention de la délivrance, R.613-44 CPI). Si celle-ci est recevable, l’INPI la notifie au titulaire.
- La réponse du titulaire à l’opposition dans un délai imparti (entre 2 et 4 mois) par l’INPI. La réponse peut consister en des observations, et peut comporter une ou plusieurs propositions de modification du brevet (de manière similaire aux requêtes principale et subsidiaires à l’OEB).
- L’avis d’instruction émis par l’INPI (équivalent de l’avis préliminaire à l’OEB), dans les 3 mois suivant la réponse du titulaire.
Un délai est imparti aux parties pour présenter des observations ou proposer de nouvelles modifications du brevet (pour le titulaire). A la différence de la procédure d’opposition à l’OEB, l’émission de l’avis d’instruction intervient tôt dans la procédure, ce qui permet au titulaire de déposer si nécessaire des modifications sans être surpris en fin de procédure par un avis négatif, et à l’opposant de présenter si nécessaire de nouveaux arguments sur les points n’ayant pas convaincu l’INPI. Cela peut également permettre de limiter les frais et la durée de la procédure en cas d’absence de réponse de l’une ou des parties. Il faut également noter que cela simplifie le travail de l’examinateur en charge d’instruire l’opposition, du moins à ce stade.
- Une éventuelle phase écrite de réponse à l’avis d’instruction ou aux éléments déposés ultérieurement par les parties. Au cours de cette phase écrite, un nouveau délai est imparti aux parties pour présenter des observations ou proposer de nouvelles modifications du brevet (pour le titulaire).
- Une éventuelle phase orale (équivalent de la procédure orale à l’OEB). Elle peut être requise par chacune des parties ou d’office par l’INPI. En cas de phase orale, il aurait pu être intéressant de prévoir l’émission d’un second avis d’instruction à la fin de la phase écrite, afin de simplifier les débats lors de la phase orale. Il est cependant vraisemblable que l’examinateur en charge d’instruire l’opposition prépare un avis informel avant la phase orale.
- La décision statuant sur l’opposition : maintien, maintien sous forme modifiée, révocation partielle ou révocation totale. Il faut cependant noter que l’opposition est réputée rejetée si l’INPI n’a pas statué dans un délai de 4 mois (R.613-44-8 CPI) à compter de la fin de la phase d’instruction (aucune réponse à l’avis d’instruction, fin de la phase écrite ou orale, le cas échéant). Cette date de fin de la phase d’instruction est notifiée aux parties.
Une telle décision est susceptible de recours devant la cour d’appel de Paris (délai d’un mois à compter de la notification de la décision, R.411-21 CPI). Une différence notable avec la procédure d’opposition auprès de l’OEB est la révocation partielle. Ainsi, si dans sa décision, l’INPI considère qu’au moins une revendication n’est pas acceptable alors qu’au moins une autre revendication l’est, la décision sera une révocation partielle du brevet.
- Dans le cas d’une révocation partielle devenue définitive, le titulaire devra effectuer les modifications correspondantes et demander la modification du brevet délivré auprès de l’INPI. Il faut relever que cette procédure de modification (L.613-23-6 CPI) apparaît comme une procédure ex parte, au cours de laquelle l’opposant ne pourra plus intervenir ni déposer d’observations. L’INPI a le pouvoir de rejeter cette demande de modification (R.612-73 CPI). Une telle procédure existait déjà dans le cas d’une annulation partielle (L.613-27 CPI).
– L’examinateur ayant participé à la procédure de délivrance la demande de brevet ne peut pas instruire l’opposition. Ce point peut sembler a priori surprenant, du fait qu’il connaît justement le dossier, mais cela permet de placer le titulaire et l’opposant sur un pied d’égalité. Il est toutefois prévu qu’il puisse être entendu dans le cadre de la procédure d’opposition. Dans les faits, il est probable que l’examinateur en charge d’instruire l’opposition obtiendra toute information pertinente de celui ayant suivi la procédure de délivrance.
– L’opposition ne prime pas toujours sur la limitation. En effet, lorsque la limitation est requise à la suite d’une demande en nullité du brevet présentée à titre principal ou reconventionnel devant une juridiction, la procédure de limitation n’est alors pas close (L.613-24 CPI). Il est probable que l’INPI suspende alors la procédure d’opposition, à moins que la suspension n’ait déjà été requise par l’une des parties du fait que la demande en nullité a été formée (R.613-44-10 CPI).
– L’INPI n’a pas le pouvoir de poursuivre d’office la procédure d’opposition (R.613-44-12 CPI), par exemple lorsque l’unique opposition est retirée.
– Une question se pose quant à la possibilité pour un opposant de déposer de nouveaux faits et pièces (par exemple des documents de l’état de la technique) au cours de la procédure. En toute logique, l’article R.613-44-7 CPI mentionnant la production de faits ou pièces produites notamment postérieurement au délai pour former opposition, il pourrait sembler possible de déposer de nouveaux arguments et documents appuyant des motifs déjà soulevés. Néanmoins, si une telle opportunité est ouverte à l’opposant par l’INPI, il faudra certainement veiller à ne pas les déposer trop tardivement, afin que « les parties aient été à même d’en débattre contradictoirement ». Il semble par contre possible de déposer de nouveaux arguments et documents à l’encontre des modifications déposées par le titulaire au cours de la procédure d’opposition, du fait que celles-ci doivent être conformes (L.613-23-3 CPI, en particulier 1er alinéa 4°). En effet, il pourrait sembler inéquitable qu’un opposant ne puisse, par exemple, fournir un document pertinent à l’encontre de la brevetabilité de l’objet d’une revendication modifiée par le titulaire par ajout d’une caractéristique limitative issue de la description et non présente dans le jeu de revendications tel que délivré. A contrario, l’introduction de nouveaux motifs d’opposition à l’encontre du brevet tel que délivré ou l’élargissement de la portée de l’opposition ne sont pas autorisés après l’expiration du délai pour former opposition (R.613-44-1 CPI). En outre, il faut relever que l’opposition n’est pas réputée formée pour les motifs non étayés (R.613-33-2 CPI alinéa 3). Il faut espérer que les futures directives brevets de l’INPI relatives à la procédure d’opposition viendront notamment clarifier les cas dans lesquels de nouveaux documents de l’état de la technique pourront être déposés par un opposant au cours de la procédure d’opposition.
– S’agissant du titulaire, une question similaire se pose quant à la possibilité de déposer des propositions tardives de modification du brevet, par exemple au cours de la phase orale. Sur ce dernier point, il semble que de telles propositions ne soient pas permises, du fait que l’article R.613-44-6 CPI mentionne explicitement la possibilité de présenter des propositions de modification du brevet uniquement jusqu’à la fin de la phase écrite (alinéa 3) et ne mentionne pas cette possibilité au cours de la phase orale (alinéa 4). On peut néanmoins supposer qu’une modification consistant uniquement en des corrections formelles pourrait être permise à ce stade, dès lors que le débat contradictoire ne se trouve pas affecté par une telle modification (R.613-44-7 CPI).
Introduction d’un examen de fond mené par l’INPI, incluant l’examen de l’activité inventive
L’INPI aura désormais la faculté de rejeter toute demande de brevet déposée à compter du 22 mai 2020, aux termes de l’article L.612-12 1er alinéa 7° CPI, « dont l’objet n’est pas brevetable au sens du 1 de l’article L.611-10 », lequel introduit les critères de nouveauté, d’activité inventive et d’application industrielle :
– En matière de nouveauté, le législateur a supprimé la notion d’absence « manifeste » de nouveauté. Cela élargit la compétence de l’INPI, auparavant limitée au rejet des demandes de brevet dont l’objet était intégralement divulgué dans une antériorité, considérée stricto sensu. Ainsi, l’INPI pourra procéder au rejet de demandes de brevet dont l’objet ne serait pas nouveau, selon une interprétation nécessairement plus large, laquelle se rapprochera certainement de l’interprétation issue de la jurisprudence, française ou européenne.
– Concernant l’activité inventive et c’est le point qui attire notre attention, l’INPI a désormais le pouvoir de rejeter une demande de brevet dont l’objet n’implique pas d’activité inventive. Là encore, il est à espérer que l’harmonisation européenne jouera son rôle, et que l’examen de l’activité inventive par l’INPI s’effectuera principalement sur la base d’une approche problème-solution, de manière similaire aux demandes de brevet européen examinées à l’Office européen des brevets (OEB).
– La réintroduction du critère de rejet pour défaut d’application industrielle, lequel avait été abandonné en 2008 (ancien L.612-12 1er alinéa 5°), facilitera peut-être le travail des examinateurs de l’INPI en matière de rejet des demandes de brevet portant sur des « mouvements perpétuels ». Toutefois, il n’aura une incidence pratique qu’extrêmement limitée sur les autres demandes. Il est à noter que l’article L.612-12 1er alinéa 7° CPI semble également s’appliquer aux demandes de certificat d’utilité en ce qui concerne le critère d’application industrielle. Ainsi, les inventeurs de « mouvements perpétuels » verront probablement leur demande rejetée sur ce motif, qu’il s’agisse d’une demande de brevet ou de certificat d’utilité.
En outre, comme évoqué dans notre précédent article1, il sera nécessaire d’être vigilant quant aux nouvelles directives qui viendront encadrer la procédure d’examen des demandes par l’INPI. Il faut espérer que les examinateurs de l’INPI sauront se montrer raisonnables en ce qui concerne la mise en œuvre effective de l’examen de l’activité inventive.
A défaut, il sera toujours possible d’envisager, à réception du rapport de recherche préliminaire et selon la pertinence des antériorités citées, une transformation de la demande de brevet en demande de certificat d’utilité, à l’encontre duquel un rejet selon l’article L.612-12 1er alinéa 7° basé sur un défaut de nouveauté ou d’activité inventive ne paraît pas devoir s’appliquer. Ainsi, un titre pourra toujours être obtenu à peu de frais en France, via le certificat d’utilité.
Enfin, il faut noter que cet examen de fond ne sera pas effectué pour les demandes de brevet déposées avant le 22 mai 2020, pour lesquelles l’examen par l’INPI restera inchangé (notamment, rejet pour absence manifeste de nouveauté). Ainsi, il pourrait être judicieux de déposer une demande de brevet au plus tard le 21 mai 2020 afin d’en limiter les coûts d’examen, a fortiori pour toute invention dont la brevetabilité semble incertaine.
Demande provisoire de brevet : quelle utilité ?
Comme évoqué dans notre précédent article1, la création applicable au 1er juillet 2020 d’une demande provisoire de brevet (Décret n° 2020-15 du 8 janvier 2020) n’apporte selon nous aucun avantage pratique. En effet, un droit de priorité naît dès lors qu’une date de dépôt est attribuée, ni le paiement des taxes ni la présence de revendications n’étant obligatoire pour l’obtention d’une date de dépôt.
Ainsi, le dépôt d’une demande de brevet par un demandeur identifié, même minimale (ne contenant par exemple qu’une description de l’invention) et à moindre coût (sans payer les taxes dues à l’INPI) peut déjà faire naître un droit de priorité. Celui-ci peut être utilisé non seulement à l’étranger par application de la Convention de Paris (177 Etats), mais également en France via le mécanisme dit de la « priorité interne » (L.612-3 CPI).
Succinctement, le dépôt d’une demande provisoire de brevet permet de bénéficier d’une date de dépôt, et par conséquent de faire naître un droit de priorité, en déposant uniquement une description de l’invention, éventuellement accompagnée de dessins. Il faut également payer la redevance de dépôt dans un délai d’un mois à compter du dépôt.
La demande provisoire de brevet peut ensuite être mise en conformité (en d’autres termes, régularisée) dans un délai de 12 mois à compter de la date la plus ancienne dont elle bénéficie. En effet, le dépôt de plusieurs demandes en cascade via la « priorité interne » est possible dans ce délai de 12 mois (L.612-3 CPI), à condition de requérir ce bénéfice dès le dépôt (R.612-25 CPI). A défaut de régularisation ou de transformation en demande de certificat d’utilité (et régularisation ultérieure), la demande est réputée retirée, ce retrait étant notifié au demandeur (R.612-3-2 CPI).
Pour un néophyte de la propriété industrielle, cette étape de régularisation sera très certainement délicate : comment déposer des revendications sur la base d’éléments initialement déposés et non prévus pour permettre de libeller correctement celles-ci, le tout sans que l’objet de celles-ci ne s’étende au‑delà du contenu de la demande (provisoire) telle qu’elle a été déposée (R.612-37-1 CPI) ?
Par Jean-Nicolas Héraud
1 « Loi PACTE : Quels impacts en matière de PI ? »