Le secret des affaires : quelle est sa définition ? comment est-il protégé ? comment préserver sa confidentialité ? Nous présentons ici les réponses à ces questions.
La directive 2016/943 du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets d’affaires) contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites a été sous le feu des projecteurs. Media et grand public se sont focalisés sur les dispositions impactant les lanceurs d’alertes et sur les craintes d’atteinte à la liberté d’expression. Ici, alors que la directive a été récemment transposée en droit français par loi n° 2018-670 du 30 juillet 2018 et son décret d’application n° 2018-1126 du 11 décembre 2018, c’est la curiosité d’appréhender les apports de la protection par le secret sur le chemin parallèle aux droits de propriété intellectuelle qui nous guide.
Désormais, en effet, à côté des mécanismes d’appropriation par les titres de brevet, de marque, de dessins et modèles ou par le droit d’auteur, le secret des affaires, notion incluant le savoir-faire de nature technique et les informations commerciales non accessibles publiquement, fait l’objet d’un régime de protection spécifique et harmonisé au sein de l’Union Européenne.
C’est tout d’abord la notion même de secret des affaires qui se voit dotée d’une définition légale, avec l’introduction à l’article L. 151-1 du Code de commerce de la définition de l’information protégée au titre du secret des affaires. Il s’agit de l’information répondant à trois critères qui sont ceux qui avaient été retenus par l’article 39.2 de l’accord sur les ADPIC annexé à l’Accord de Marrakech de 1994 instituant l’OMC :
« 1° Elle n’est pas, en elle-même ou dans la configuration et l’assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d’informations en raison de leur secteur d’activité ;
2° Elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ;3° Elle fait l’objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret ».
Ainsi, bien que le secret des affaires ne fasse pas l’objet d’une protection par un droit exclusif, il est un outil non négligeable de protection des innovations et plus globalement des données de l’entreprise et peut être utilisé dans différentes situations liées à un choix ou à l’absence de possibilité de protection par un droit de propriété intellectuelle. Ainsi, la constitution d’un savoir-faire peut résulter du choix de ne pas protéger par brevet, pour privilégier le secret, mais aussi de l’absence des conditions permettant une telle protection. Le secret des affaires fait donc partie des actifs immatériels de l’entreprise en complément des droits de propriété intellectuelle.
Tout l’enjeu pour l’entreprise réside alors dans le troisième critère et la démonstration qu’elle a adopté des mesures de protection raisonnables. Il peut s’agir de mesures de restriction d’accès ou d’engagements contractuels de confidentialité et de limitation d’usage qui doivent être mis en place au sein de son organisation même, ou dans ses rapports commerciaux avec les tiers.
Au-delà de la définition du secret des affaires, le nouveau dispositif lui octroie des mécanismes de protection.
En premier lieu, la loi du 30 juillet 2018 a prévu aux articles L. 152-1 et suivants du Code de commerce des « actions en prévention, en cessation ou en réparation d’une atteinte au secret des affaires » dans le cadre de la responsabilité civile. En particulier, ces textes définissent les mesures qui peuvent être prises par le juge. Il s’agit de :
- « toute mesure proportionnée de nature à empêcher ou à faire cesser une telle atteinte », telles que notamment des interdictions d’utilisation, de divulgation, de production et commercialisation ou le rappel ou la destruction de produits résultant de « manière significative de l’atteinte au secret des affaires », etc.
- des mesures provisoires et conservatoires pour « prévenir une atteinte imminente ou faire cesser une atteinte illicite à un secret des affaires », inspirées des mesures existant en matière de contrefaçon, et dont le régime juridique a été précisé par le décret du 11 décembre 2018, qui prévoit la possibilité de prendre les mesures similaires d’interdictions à celles précitées mais dans le cadre d’une procédure d’urgence, et avec la possibilité en outre pour la juridiction, de demander au défendeur (si elle autorise la poursuite illicite alléguée) ou au demandeur la constitution d’une garantie ;
- « le versement d’une indemnité à la partie lésée » sous certaines conditions dans le cas où « au moment de l’utilisation ou de la divulgation du secret des affaires, l’auteur de l’atteinte ne savait pas, ni ne pouvait savoir au regard des circonstances, que le secret des affaires avait été obtenu d’une autre personne qui l’utilisait ou le divulguait de façon illicite »;
- des dommages et intérêts dont l’article L.152-6 définit les critères de détermination ;
- des mesures de publicité.
En second lieu, un volet du dispositif organise la protection du secret des affaires par la préservation de la confidentialité dans le cadre d’un procès.
L’article L. 153-1 du Code de commerce prévoit ainsi des mesures de protection que le juge peut prendre « d’office ou à la demande d’une partie ou d’un tiers » et ce, « avant tout procès au fond ou à l’occasion d’une instance au fond ». Il s’agit de permettre d’ordonner une expertise afin de déterminer si des mesures de protection sont nécessaires, limiter la production ou communication des pièces dans leur contenu ou en termes d’accès, décider de la tenue des débats et du prononcé de la décision en chambre du conseil et d’adapter la motivation de la décision et ses modalités de publication. Cet ensemble est assorti d’une obligation de confidentialité expressément prévue par l’article L. 153-2 du Code de commerce à la charge des personnes ayant accès aux pièces considérées par le juge comme étant couvertes par le secret des affaires.
Le décret du 11 décembre 2018 y apporte des compléments de nature procédurale. Les dispositions sur ce point ont été intégrées aux articles R. 153-1 et suivants du Code de commerce qui donnent en particulier la possibilité au juge d’ordonner le placement sous séquestre de pièces demandées dans le cadre de mesures d’instructions à des fins probatoires. Ils fixent également les règles de procédure applicables aux demandes de communication ou de production de pièces telles que la possibilité d’interdire leur copie ou reproduction par la partie non détentrice.
Le régime de protection du secret des affaires initié par la directive européenne de 2016 est ainsi parachevé. Il reste désormais pour les entreprises à en tirer parti et à organiser la protection et la défense de l’ensemble de leurs actifs immatériels.