Pour que l’accord sur la juridiction unifiée du brevet (JUB) entre en vigueur (article 89), il doit être ratifié par treize Etats membres de l’Union dont obligatoirement les trois Etats plus gros déposants de brevets européens en 2012, à savoir l’Allemagne, le Royaume-Uni et la France.
Deux rochers, le premier britannique et l’autre allemand, viennent-il nous rappeler notre impuissance à aboutir ?
« Tel rocher qui manifeste une résistance profonde si je veux le déplacer sera, au contraire, une aide précieuse si je veux l’escalader pour contempler le paysage. »
Jean-Paul Sartre, L’Etre et le Néant.
Le rocher britannique « Brexit »
Au tout début de l’été 2016, 51,9% des Britanniques choisissent par référendum de quitter l’Union Européenne. Printemps 2017, par application de l’article 50 du traité sur l’Union européenne, le Royaume-Uni notifie au Conseil européen son intention de quitter l’Union.
Le Royaume-Uni, qui n’a pas encore ratifié l’accord sur la future juridiction unifiée du brevet et n’a plus vocation à rester membre de l’Union, sera toutefois traité comme un membre de l’Union jusqu’à la fin de la période transitoire (31 décembre 2020) prévue à l’article 121 du projet d’accord négocié entre le Royaume-Uni et Michel Barnier.
En effet, ce dernier est chargé, par l’Union européenne, de coordonner les travaux de la Commission européenne sur tous les aspects stratégiques, opérationnels, juridiques et financiers liés aux négociations avec le Royaume-Uni.
Dans sa version du 19 mars 2018, le projet d’accord avec le Royaume-Uni produit, en son titre IV sur la propriété intellectuelle, des dispositions acceptées par l’ensemble des négociateurs. Aucune cependant ne concerne la future JUB ou le système du brevet unitaire : le Royaume-Uni n’a pas ratifié l’accord sur cette juridiction et le brevet unitaire ne s’appliquera qu’à la date d’entrée en vigueur de cet accord. La future juridiction unifiée n’est donc pas, à ce jour, un sujet de négociation avec le Royaume-Uni.
Mais malgré le coup de chaleur déconcertant du début d’été 2016, le Royaume-Uni suit les sentiers sinueux conduisant à la ratification de l’accord sur la future juridiction unifiée du brevet. Reste essentiellement à déposer les instruments de ratification de cet accord au Conseil de l’Europe. Une « formalité » selon certains observateurs, mais une formalité qui passe par la signature de Boris Johnson à la tête du bureau des Affaires étrangères et du Commonwealth. Chef du camp du Brexit, Boris Johnson l’a conduit à la victoire tout en renonçant à vouloir devenir le Premier ministre qui en organise la suite. La marque manuscrite de l’ambigu Boris Johnson attesterait ainsi la volonté non équivoque du Royaume-Uni de ratifier l’accord. Faux paradoxe, limitant en fait la portée de la ratification de l’accord à son incorporation aux négociations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, ce qui rend probable la signature par Boris Johnson.
Le rocher allemand « Stjerna »
Début 2017, Ingve Stjerna (avocat allemand de Düsseldorf, opposant déjà remarqué à la juridiction unifiée du brevet) a déposé un recours auprès de la Cour constitutionnelle fédérale allemande (Karlsruhe) contre l’accord sur la juridiction unifiée du brevet.
Cette personne physique dénonce la perte de droits régaliens causée par l’accord international, son incohérence avec le droit européen et son adoption par une majorité non qualifiée au Bundestag.
La Cour constitutionnelle fédérale a donc demandé au Président fédéral allemand de suspendre la procédure de ratification de l’accord sur laJUB.
Cette Cour date des lendemains de la seconde guerre mondiale. Elle est née de l’intention des alliés de mettre en place un organe de contrôle anti-retour à la dictature. Elle a développé une jurisprudence faisant droit à un requérant contre un accord international dans la mesure où il démontre des droits nationaux fondamentaux violés. Son rôle dans l’intégration européenne a été remarqué.
La Cour constitutionnelle allemande a pris la mesure de l’enjeu. En particulier, le recours déposé en 2017 a été mis au rôle dès 2018 : un acte d’enrôlement aussi rapide est tout à fait exceptionnel. La Cour déclarera-t-elle le recours inadmissible ? Le traitera-t-elle au fond ? Certains observateurs considèrent les motifs du recours relativement marginaux ou techniques et donc prévoient son échec.
Il ressort que la diligence de la Cour constitutionnelle allemande a été remarquée. Une décision peut donc être espérée au plus tard en 2019. Par ailleurs, la Cour est consciente de sa forte influence européenne. Elle ne peut pas rester sourde aux entreprises industrielles européennes dont beaucoup réclament ce nouvel organe judiciaire ainsi que le brevet à effet unitaire (notamment afin de limiter les coûts des litiges et de maintien des droits de brevet en Europe).
« C’est notre liberté qui constitue les limites qu’elle rencontrera par la suite » : décidons ces rochers gravissables !
Depuis le Brexit, la volonté du Royaume-Uni de ratifier l’accord sur la juridiction unifiée du brevet ne faiblit pas. Cette ratification est tout à fait possible dans les semaines ou mois à venir, car l’incorporation de l’accord aux négociations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne ouvre à tous des possibilités suffisantes d’identification d’une solution pérenne post Brexit.
Enfin, le recours déposé auprès de la Cour constitutionnelle fédérale allemande contre l’accord sur la JUB témoigne indiscutablement d’un courant opposé à cette juridiction. Mais c’est à cette Cour constitutionnelle allemande, plus disposée à défendre des droits fondamentaux que des options d’organisation d’acquisition d’un droit au brevet ou d’organisation de défense de ce droit en Europe, de continuer de favoriser la construction européenne.