L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations (JO 11 février 2016), entrée en vigueur le 1ER octobre 2016, a impacté de nombreux domaines du droit privé. Chaque spécialiste a dû rechercher les conséquences des modifications des principes structurants pour sa pratique contractuelle. Il en est ainsi pour les contrats balayant le vaste champ de la propriété intellectuelle, en allant de la propriété littéraire et artistique aux aspects plus technologiques (brevets, savoir- faire et informatique) et en passant par les signes distinctifs.
Loin de rechercher l’exhaustivité, cet article vise, dans ce domaine, à mettre en lumière deux aspects des nouvelles dispositions qui interviennent successivement dans la vie du contrat : lors de la période de négociation puis dans celle de la fixation de son contenu. Cela conduira à s’interroger sur l’apport de ces nouvelles dispositions et sur la façon de les prendre en compte dans la rédaction des contrats liés à la propriété intellectuelle.
D’un point de vue plus global, l’analyse de ces points permettra d’illustrer des traits saillants de la réforme qui, outre la reprise de textes antérieurs, codifie certains principes établis par la jurisprudence et introduit quelques nouveautés. On verra apparaitre en outre, en filigrane, l’esprit de la réforme qui consacre le consensualisme, malgré l’introduction de dispositions visant à protéger la partie dite « faible ». Le dispositif mis en place reste, en effet, selon le Rapport au Président de la République relatif à l’Ordonnance du 10 février 2016, supplétif de volonté. Le caractère impératif d’un article doit ainsi être expressément mentionné par ses dispositions et il est donc l’exception.
Objectifs de cette réforme
La réforme vient ainsi modifier les dispositions du Code civil qui s’appliquent aux contrats et constituent le socle du droit des relations d’affaires. Pour la plupart, elles n’ont pas été modifiées depuis 1804 et l’on pouvait estimer, pour plusieurs raisons, que cette ancienneté était préjudiciable à la compétitivité du droit français.
La réforme opérée par l’ordonnance du 10 février 2016 a ainsi, comme le souligne le Rapport au Président de la République, un objectif de sécurité juridique par une plus grande lisibilité et accessibilité du droit des contrats mais aussi un objectif de renforcement de l’attractivité du droit français.
Il est vrai que la pratique des contrats internationaux révèle une grande réticence à prévoir l’application du droit français qui, pour les conseils et co-contractants, anglo-saxons notamment, se caractérise par l’application de règles légales ou jurisprudentielles sans que les stipulations contractuelles aient besoin d’y faire référence. La codification d’un certain nombre de règles jurisprudentielles limite donc cet effet en les consolidant en une seule source plus accessible.
La réforme et la propriété intellectuelle
Si on laisse de côté les orientations générales de la réforme pour se centrer sur des questions spécifiques ayant des incidences sur les contrats liés à la propriété intellectuelle, les sujets sont nombreux. Ayant à l’esprit les questions à se poser et les réflexes à adopter lors de la mise en place de contrats liés à la propriété intellectuelle, le choix a été fait de consacrer cette étude à certains aspects de la période de négociation (I.) puis à la fixation du contenu du contrat (II.).
I La période de négociation
Les dispositions relatives à la période de négociation, qui figurent aux articles 1112 et suivants du Code civil, nous semblent devoir faire l’objet d’une attention particulière. En effet, il s’agit d’un nouveau pan de ce code, qui n’évoquait pas, jusque-là, cette période. Or, en matière de propriété intellectuelle cette phase peut s’étendre considérablement dans le temps, par exemple du fait des discussions techniques à aborder.
En grande partie, les nouvelles dispositions issues de la réforme de 2016 reprennent des principes d’origine jurisprudentielle.
C’est d’abord le principe de bonne foi dans les négociations, jusqu’à leur rupture éventuelle, qui est consacré par l’article 1112 et qui figure aussi désormais à l’article 1104 du Code Civil. Sous réserve du respect de cette obligation de bonne foi, la rupture est libre. Le préjudice qui pourra être indemnisé en cas de faute dans la rupture des pourparlers ne pourra avoir pour objet de compenser la perte des avantages attendus du contrat non conclu. A titre d’illustration, l’échec de la négociation d’une licence d’un droit de propriété industrielle, tel qu’une marque ou un brevet, peut conduire à invoquer la responsabilité du titulaire du droit s’il décide brusquement de cesser des discussions avancées mais le co-contractant éconduit ne pourra prétendre à l’indemnisation du chiffre d’affaires lié à la vente des produits marqués ou fabriqués sous brevet qu’il aurait pu réaliser.
Il faut également souligner la création d’un devoir général d’information, dont il faut noter le caractère impératif, à l’article 1112-1 du Code civil, qui se base sur l’obligation précontractuelle d’information déjà largement admise par la jurisprudence. On peut s’interroger sur les conséquences de cette consécration légale : simple consolidation ou portée élargie ? A titre préventif, l’on pourrait s’interroger sur les aménagements dans la rédaction des contrats à mettre en place, en particulier pour des contrats relatifs à des technologies. Ainsi, dans un contrat de licence de brevet, faut-il détailler expressément comment le licencié a été mis en connaissance de la nécessité de disposer du savoir-faire nécessaire à la mise en œuvre du brevet par le concédant ? De même dans de nombreux contrats de développement, qu’ils concernent un projet informatique ou industriel, il est souvent demandé par le client d’identifier la spécialité et l’expertise du prestataire lorsqu’elles sont différentes des siennes et de souligner son devoir d’information. On peut se demander dorénavant si et comment il faudra renforcer ces stipulations.
II La fixation du contenu du contrat
La fixation du contenu du contrat entre les parties est également un sujet très important dès lors que le terme « contenu » désigne depuis la réforme de 2016 une notion englobant les concepts d’objet et de cause au sens du Code civil de 1804 et de la jurisprudence.
La question de l’équilibre du contrat, sur laquelle la réforme intervient, peut y être rattachée. Plus précisément, atténuant le principe du consensualisme, deux séries de dispositions tendent à un tel équilibre du contrat.
Il s’agit tout d’abord de l’article 1170 du Code civil aux termes duquel « Toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite ». Cet article consacre la jurisprudence relative aux clauses limitatives de responsabilité issue de l’arrêt « Chronopost » et de la saga judiciaire « Faurecia ».
On pense bien sûr en premier lieu au soin à apporter à la rédaction des contrats informatiques, que ce soit des contrats de licence ou des contrats de service (tels que contrats SaaS, de développement, de maintenance, etc.) où la pratique des clauses limitatives de responsabilité est systématique. Mais on peut s’interroger également sur la portée de cet article à l’égard de clauses aménageant la garantie d’éviction liée à la cession de droits de propriété intellectuelle.
En effet, il est fréquent d’aménager cette garantie légale qui permet notamment de demander une indemnisation au cédant en cas d’action en contrefaçon intentée par un tiers à l’encontre du cessionnaire, voire de tenter d’exclure cette garantie.
Il n’est ainsi pas rare que le montant de l’indemnisation potentielle soit limité en prévoyant, en s’inspirant des contrats anglo-saxons, que le montant de la réparation est plafonné par le montant de limitation de réparation due au titre de la responsabilité contractuelle. Certains contrats prévoient même une exclusion de toute réparation, souvent mal perçue lors des négociations, en utilisant la référence au contrat aléatoire par l’inclusion d’une clause selon laquelle le contrat est consenti aux risques et périls du cessionnaire.
La garantie d’éviction du fait d’un tiers pourrait-elle être qualifiée d’obligation essentielle du débiteur ? Dans quelles conditions alors une clause limitative de réparation pourrait être réputée non écrite ? Selon la nature des droits en cause, la solution pourrait varier car l’impact de l’exploitation effective de ces droits par le cessionnaire est par exemple très différent entre la contrefaçon d’une œuvre et celle d’un brevet. Dans le second cas, c’est la manière de mettre en œuvre par exemple un procédé breveté, telle que décidée par le cessionnaire, qui pourrait constituer le fait générateur de la contrefaçon des droits de tiers.
De manière plus novatrice, une seconde série de dispositions introduit la notion de clauses abusives, qui sont réputées non écrites, au sein du Code civil en généralisant l’application de cette notion (utilisée jusqu’alors dans les rapports avec les consommateurs), y compris dans les rapports entre professionnels, mais en la limitant toutefois aux contrats d’adhésion. L’article 1171 prévoit ainsi que « Dans un contrat d’adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties est réputée non écrite. L’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l’objet principal du contrat, ni sur l’adéquation du prix à la prestation ».
Pour précision, un contrat d’adhésion est défini par le nouvel article 1110 du Code civil comme étant « celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l’avance par l’une des parties. » En matière de contrats liés à la propriété intellectuelle on peut donc s’interroger sur les clauses qui pourraient être ainsi qualifiées d’abusives par le juge dans des contrats tels que des contrats informatiques standards que les clients n’ont pas la possibilité en pratique de négocier ou, en sens opposé, des contrats d’achat de prestations intellectuelles soumis à des conditions générales d’achat.